AN 160
- Écrit par BRUYERE
AN II 160 DE JUILLET 2016
EDITORIAL
« TOUS AUX ABRIS ! »
Etrange rentrée 2016 ! Jusqu’alors c’étaient les professeurs qui disaient aux élèves : « Ouvrez vos cartables ! ». Désormais ce sont les militaires. Le document reproduit ci-dessous a été distribué pour affichage dans les classes et prépare les exercices de confinement/prévus. On voudrait mettre en tête aux élèves que terrorisme est un phénomène « normal» en collège qu’on ne s’y prendrait pas autrement. .En collège, c’est peut-être ce qui conservera le plus un caractère « national » dans un enseignement marqué par la réforme et désorganisé par la mise en place d’horaires, de programmes, de « compétences » et d’organisation du travail locaux.
La Libre Pensée s’est prononcée pour la levée de l’état d’urgence. Il apparaît clairement que la surenchère sécuritaire est l’ultime argument de ceux qui entendent imposer un ordre social basé sur l’éclatement républicain et la liquidation des droits collectifs au travers de la loi dite « loi-travail » rejetée par tout ce que le monde ouvrier compte de syndicats réellement indépendants.
Le congrès de la Libre Pensée de Bourg-lès-Valence » l’a affirmé nettement (extrait):
« La Libre Pensée a condamné dès le début la mise en place de l’état d’urgence qui crée un état d’exception permanent contre les libertés démocratiques. Elle a agi aux côtés de la Ligue des Droits de l’Homme et d’une centaine d’associations pour sa levée et a protesté contre son renouvellement permanent. La Libre Pensée a, récemment encore, en avril 2016, signé une déclaration commune avec la LDH et le Ligue de l’Enseignement réaffirmant : « Il ne faut pas toucher à la loi de 1905 ! Il faut défendre les libertés publiques ! ». L’union nationale, suite aux barbares attentats, n’aura pourtant pas survécu à la réalité sociale du conflit d‘intérêts qu’on appelle la lutte des classes. Le corporatisme a été une nouvelle fois mis en échec sur ce terrain-là aussi. » Le congrès de Bourg-lès-Valence a décidé pour sa « question à l’étude » du congrès 2017 de se pencher sur les rapports entre la loi de 1905 et la Charte d’Amiens : « Y-a-t-il un rapport entre ces deux conceptions (Laïcité et Charte d’Amiens) ? Si oui, lequel ? Le combat de défense de la laïcité a toujours été porté par le syndicalisme qui se réclame de la Charte d’Amiens. Pourquoi ? Ce combat est-il toujours d’actualité et doit-il être réaffirmé ? Y-a-t-il une rencontre possible et nécessaire entre la Libre Pensée et le Mouvement ouvrier syndical organisé ? » , ce n’est pas un hasard : |
Paris verra en 2017 la tenue d’un autre congrès que celui de la Fédération nationale : celui de l’Association internationale de la Libre Pensée.
Il s’agira de concrétiser les pas accomplis depuis Oslo. Ils sont considérables, à commencer par ce qui se réalise déjà en Amérique latine, qui a vu la réussite du congrès de Montevideo et la naissance de nouvelles sections.
Le 20 septembre 2015, la libre penseuse uruguayenne Victoria Cortatense, déclarait, dans le cadre du congrès de l’AILP, dans les jardins de l’hôpital italien de Montevideo:
« Le monde entier assiste à des assauts contre la laïcité, la liberté de conscience et la libre pensée, pour cela aujourd’hui, nous devons redoubler notre engagement, de façon à ce que cette lutte nous trouvent unis face aux ennemis de la raison et que nos hommages ne soient pas de simples manifestations un jour par an, nous devons lever les drapeaux de la libre pensée plus haut tous les jours »
Rappelons que l’AILP a décidé trois campagnes permanentes :
ð pour la défense et la mise en œuvre du principe de Séparation des Eglises et de l’Etat,
ð contre le financement public des cultes,
ð pour que justice soit rendue aux victimes des Eglises.
D’autres campagnes continueront à revêtir une importance particulière, pour l’AILP mais aussi en lien avec les associations amies : défense de la contraception et de l’IVG, droit de mourir dans la dignité, défense des sciences et de la théorie de l’Evolution.
La Fédération du Rhône y prendra toute sa part ! P.G.
LAICITE RHONE
Pédophilie diocésaine : où en est-on ?
On apprenait le 1er juillet que le citoyen Barbarin relevait quatre prêtres de leur ministère du diocèse de Lyon, après avis d’un collège d’experts. C’était le début d’une grande lessive annoncée. Pour les prêtres concernés, tous mis en cause publiquement au cours des derniers mois mais dont l’identité n’était pas révélée, les faits étaient connus de l’autorité judiciaire. Il est donc clair que c’est la peur du scandale – et rien d’autre – qui aura fait réagir l’autorité diocésaine. En effet, nul besoin d’un « collège d’experts » pour prendre la mesure de la crise.
Comme l’a déclaré l’une des victimes du père Jêrôme B. : « Tout ce que fait Barbarin, il le fait sous la pression. »
Barbarin a déclaré : « L’heure est venue de réexaminer les vieux dossiers et d’accomplir un grand travail de purification. » Cela doit se traduire par des mesures immédiates qui sont : 1°) la mise en place d’une « cellule d’écoute », 2°) celle d’un « collège d’experts » (magistrats, médecins, psychanalystes, encadrés par des dignitaires ecclésiastiques), 3°) un « accompagnement » du personnel du diocèse et des paroisses. D’autres mesures devraient compléter cette panoplie.
Signe des temps : les prêtres mis en cause pourraient faire l’objet d’une « procédure canonique » et retourner à l’état laïc. Ce n’est pas rien. Rappelons que l’Eglise a toujours considéré comme une abomination pour un prêtre de se défroquer. Un prêtre est prêtre pour l’Eternité, il ne peut quitter l’Eglise. Même si, comme jusqu’à présent, il ne peut endurer le célibat sans commettre de crimes sur les mineurs confiés à sa garde.
Cela dit, d’un certain point de vue cela reste le problème de la seule Eglise, et ne concerne le citoyen que dans la mesure où la justice s’est trouvée circonvenue par une politique de dissimulation organisée. L’Eglise a toujours trouvé plus grave d’ébruiter les turpitudes de ses bergers que de protéger ses agneaux par le recours à la loi (la vraie, pas celle dont elle s’arroge le privilège au nom de Dieu).
Jusqu’où ira cette opération « mains propres » que l’on pourrait aussi bien appeler d’un nom plus païen « Ecuries d’Augias ». Car la tâche s’annonce herculéenne.
Une nouvelle cérémonie laïque ? …le vœu des échevins !
Que le lecteur ne se pince pas tout de suite. Un vœu des échevins symbole de laïcité, c’est en substance ce que vient d’expliquer Gérard Collomb, apostrophé par l’association « Le Poing commun » qui lui demandait, dans une lettre du 6 septembre 2016, d’expliquer la participation d’élus de la République à la fête de la Nativité et au renouvellement du vœu des échevins : acte qui vient illustrer symboliquement la soumission du pouvoir politique au pouvoir religieux par la remise d’un écu d’or à Fourvière.
La Fédération du Rhône de la Libre Pensée, en particulier dans les colonnes de l’An II, a régulièrement condamné cette atteinte hautement symbolique à la laïcité institutionnelle, fondée sur un certain nombre de mensonges historiques. Nous ne les rappellerons pas dans cet article ; il suffit de savoir que la médecine et l’hygiène ont considérablement progressé à Lyon à l’époque de la peste.
Gérard Collomb ne s’est pas démonté. Devant un parterre d’élus et de chefs d’entreprise, où figurait aussi le gouverneur militaire, il a répondu : « J'invite tous ceux qui s'interrogent sur la place des religions et sur la laïcité dans la société à relire Aristide Briand. Cette loi [celle de 1905] n'est pas une loi contre les religions mais [une loi] qui doit permettre à chacune et à chacun d'exercer la religion de son choix, ou d'en exercer aucune. »
Le maire de Lyon, fustigeant la « conception étroite » de la laïcité de ses détracteurs, a repris des passages de l'homélie prononcée par l'archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois, lors de l'hommage au père Jacques Hamel, pour expliquer qu’une société ne pouvait pas se réduire à un consortium d’intérêt. Et de conclure : « Je vois bien tout ce qui peut diviser ou fragmenter une société. Ici, à Lyon, pour nous la confluence n'est pas ce lieu seulement géographique mais aussi symbolique : la confluence des cultures, des idées, des spiritualités. C'est cela que marque l'esprit de Lyon. »
Plus c’est gros, plus ça passe
Nous n’avons aucune envie de polémiquer avec le maire de Lyon, qui a déjà sa religion en la matière. Mais les poings se serrent (ou se lèvent) quand il ose se réclamer d’Aristide Briand, plus précisément du Briand rapporteur de la loi de 1905.
Quant au parcours politique ultérieur de Briand abandonnant toute référence au socialisme – à l’instar d’un Emmanuel Macron – on comprend que cela séduise M. Collomb, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit !
Il suffit en effet de lire le texte de la loi ou celui des débats parlementaires pour voir que Briand n’aurait certes jamais eu l’idée d’empêcher M. Collomb de s’alimenter d’hosties ou de se désaltérer d’eau bénite si cela lui chantait, à condition qu’il le fît à titre privé. M. Collomb n’a pas bien compris ce qu’était la séparation.
Le 13 avril 1905, Aristide Briand répondait à un député qui proposait de maintenir un concours financier au budget des cultes tout en affirmant la neutralité religieuse de l’Etat : « La majorité de la Chambre a considéré que l’Etat avait le droit de reprendre sa liberté pleine et entière et sans conditions. Nous avons dit et répété que les biens de l’Eglise n’avaient jamais été sa propriété. Ce fut la doctrine de la Révolution. Louis XIV lui-même l’avait affirmé. En reprenant la libre disposition de cette propriété, la nation a mis fin à la gestion de l’Eglise comme c’était son droit. Elle ne devait pour cela au clergé ni indemnité, ni réparation. La Convention au moment où elle a supprimé le service public du culte a fait disparaître en même temps les traitements du clergé.
Je trouve singulièrement grave qu’un républicain vienne à la tribune proclamer que l’Etat se fera voleur s’il supprime le budget des cultes. »
Ce député s’appelait Paul Beauregard. Aujourd’hui c’est M. Gérard Collomb qui arrose de subventions le dialogue inter-religieux et concourt au financement public des différents cultes. Une chose est sûre : cette « laïcité » à la sauce lyonnaise n’est certainement pas celle qu’aurait approuvée M. Aristide Briand !
libres propos, libres pensées
Journalisme ou bourrage de cerveaux disponibles ?
Le journal zurichois Zeit-Fragen a examiné la thèse du Dr. Uwe Krüger de l’Université de Leipzig, diplômé en sciences-po et journalisme, "Le pouvoir d'opinion", qui analyse les conditions de travail et de dépendance très, très problématiques des journalistes d'aujourd'hui dans le système euro-atlantiste et les accointances malsaines qui lient les élites politiques et celles des grands médias institutionnels : ils sont du même monde et ont les mêmes objectifs.
Un organe de presse comprend des cadres, comme dans n'importe quelle entreprise, chargés de tracer et faire respecter la ligne et des "pisse-copie" chargés de faire et d'écrire ce qu'on leur dit, quand on leur dit.
Aux uns les bons salaires, les honneurs et une très grande longévité professionnelle, aux autres les rémunérations à la pige, les CDD et une très grande insécurité existentielle. Cela calme les indociles.
Très rares sont les jeunes journalistes sortis d'écoles spécialisées qui disposent d'une vraie et vaste culture et du temps et des moyens nécessaires pour faire de l'investigation : place aux communicants chargés de "fabriquer du consentement" (Noam Chomsky) : faire accepter une "réforme", vendre une guerre, distordre une info, un sondage, éreinter un syndicat, etc.)
Les débats radio-TV se font entre gens du même bord, formatés à l'identique, à quelques divergences près visant à accréditer l'idée qu'il y a "débat".
Les émissions dérangeantes sont reprogrammées d'abord à des heures de faible écoute, puis si cela ne suffit pas à casser leur audience, supprimées.
Les micros et les interviews sont presque toujours proposés aux mêmes "experts" omniprésents du courant dominant, qui pontifient pour le compte de "groupes de réflexion" privés (mais pas d'argent).
Avec des objectifs différents, le principe de la propagande est exactement le même que celui de la publicité : répéter, répéter, répéter, pour faire entrer des désirs ou des crédos dans l'inconscient collectif.
Et de la propagande à la désinformation, il n'y a qu'un pas. Un point de vue partial ou un mensonge répétés urbi et orbi deviendront une vérité tellement admise que peu de gens la mettront en doute sans se voir accusés de "complotisme" ou de
"populisme" qui font partie de ces anathèmes chargés d'opprobre destinés à disqualifier d'emblée
son auteur et étouffer dans l'œuf toute amorce d'expression contestataire.
Le détournement de vocabulaire est devenu la règle : paix, libertés, démocratie, république, droits, laïcité, réformes, etc., sont honteusement dévoyés pour semer la confusion dans les esprits crédules, peu curieux ou peu critiques et visent à mieux enterrer ces notions.
Mais, diront certains, il n'y a pas dans nos pays démocratiques de Ministère de la Propagande ou de l'Information, la presse est libre ! Certes…
Mais que l'on soit en démocratie ou en dictature, nous vivons avant tout dans un système économico-financier qui désire que ses intérêts, ses préceptes et ses objectifs ne soient pas ou pas trop contestés.
Au lieu que les moyens d'informations soient contrôlés par un ministère dédié, il suffit que leur capital appartienne majoritairement à quelques très riches leaders de l'oligarchie régnante et le résultat est le même. Il leur aura suffi de faire main basse sur des médias légitimement respectés de longue date et d'y placer des gens qui, sans qu'on leur donne la moindre consigne, savent par conviction ou instinct (de conservation) ce qu'il faut écrire ou (surtout) escamoter. Résultat : 9 milliardaires contrôlent quasiment tous nos quotidiens, tous nos grands hebdos et chaînes d'infos TV en continu.
Mais comme les citoyens sont des humains aussi intelligents que des "élites" générées par un système de sélection et de reproduction sociale faussé où l'origine, la formation, les réseaux, le népotisme sont déterminants, ils ne font dans leur majorité plus confiance à des médias qui sont, non seulement entre des mains privées (surtout d'éthique), mais en plus lourdement et arbitrairement subventionnés par nos impôts (sinon ils disparaîtraient à la vitesse d'un tsunami, tant la désaffection du public est grande).
La "grande presse" est en grande crise et ses tirages sont en berne : les gens ne s'y reconnaissent plus et se tournent vers Internet, dernier espace d'air (encore) oxygéné mais où la manipulation fleurit aussi.
D'un "grand" média à l'autre on entend la même musique, les mêmes paroles, les mêmes opinions censées être majoritaires : au référendum de 2005 Laurent Ruquier a pu dire en riant stupidement : "Je voterai OUI, puisque tout le monde me dit qu'il faut le faire" ! Tel quel !
Et malgré un inimaginable et malhonnête matraquage médiatique où les "nonistes" passaient pour des benêts qui n'avaient rien compris au texte (en réalité trop bien !), le NON a gagné !
Mais ce n'était qu'un regrettable revers, bien corrigé depuis. Et quid du BREXIT ?
Démocratie, quand tu nous tiens !
Et on se rend bien compte que tout l'enjeu de ce déploiement hyper-coûteux n'est pas de convaincre la totalité de l'opinion, tâche évidemment impossible, mais d'en extraire les quelques grammes qui feront pencher la balance démocratique du "bon" côté.
Et ces grammes-là n'ont pas de prix !
R.J.
L’Église contre la République : l’exemple de l’archevêché de Lyon
L’Église a été l’ennemie de la République dès sa proclamation le 21 septembre 1792. Et même avant ! L’Église de Lyon a été exemplaire dans ce combat. Trois archevêques, trois étapes : de la tragédie à la farce
I -Yves Alexandre de MARBEUF ( archevêque 1788-1799)
Cet aristocrate, homme d’Église, avait reçu de Louis XVI, la charge de ministre de la « Feuille », c’est à dire de la répartition des bénéfices ecclésiastiques, plus celle de préparer les nominations des évêques soumises par le roi au pape.
Lui-même devient archevêque de Lyon - riche de 50 000 livres de rente annuelle – en1788.
Il ne mettra jamais les pieds dans la ville, redoutant d’y être mal reçu. En effet, dès la préparation de la réunion des États généraux, ce prélat conservateur s’était fait remarquer à Lyon en s'inquiétant des troubles et du désordre que cette initiative allait engendrer, à ses yeux. Des groupes de lyonnais l’avaient raillé dans une mascarade, et il craignait que sa venue provoque des émeutes.
Un citoyen, dans une lettre du 4 mars 1789, restée anonyme, avait pourtant opposé aux instructions royalistes et réactionnaires de l’archevêque une position, laïque avant la lettre, dont le respect aurait épargné à la Nation bien des conflits :
« Faut-il donc vous l’apprendre, Monseigneur, un évêque n’est pas un publiciste. Comme pasteur et ministre de J.C. il n’a aucun droit de s’immiscer dans les affaires civiles et politiques […] Vous
faites un criminel abus des paroles de l’Écriture pour émouvoir les esprits et allumer le flambeau de
la discorde ». (cité dans l’article Marbeuf du Musée du Diocèse de Lyon, édition informatique).
Il choisira bientôt l’émigration, refusant (le 5 décembre 1790) de rejoindre son siège, comme le lui avait enjoint le Directoire départemental de Rhône et Loire. Il ne renoncera pas pour autant à lutter contre la Révolution et la République, conduisant ses activités contre-révolutionnaires par l’intermédiaire de ses vicaires généraux, à qui il adresse instructions et mandements de 1789 à sa mort en1799 à Lübeck.
Certains de ses vicaires généraux sont arrêtés, d’autres émigrent ou se cachent. L’un deux, l’abbé LINSOLAS, revient à Lyon, clandestinement, le 21 novembre 1792. Il sera le plus zélé et le plus efficace des vicaires généraux ; il organisa la lutte clandestine de l’Église de Lyon et son soutien à la rébellion royaliste et girondine de 1793.
Il échappa à la répression de la Convention qui frappa cent six prêtres et religieux.
L’hommage rendu à Joseph Chalier, le martyr des jacobins, vit rebondir la lutte-anticléricale : on fit défiler un âne coiffé d’une mitre et revêtu d’habits épiscopaux. La ville de Lyon, largement déchristianisée, devint un pays de mission.
II - Pierre GERLIER (archevêque 1937-1965)
Franchissons les années. L’acharnement antirépublicain ne se relâcha pas tout au long du XIXème siècle, avant comme après l’instauration de la IIIème République en 1875 : le clergé et les notables de Lyon, royalistes, ultramontains et piliers de l’ordre moral, feront construire la basilique de Fourvière comme symbole de la volonté de reconquête catholique de la ville.
Pierre Gerlier fut nommé archevêque de Lyon en 1937. Il avait compris, dès sa jeunesse, l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII (1891) jetant les bases de la doctrine sociale de l’Église, opposant à la lutte des classes, le corporatisme. Pour ne pas disparaître dans un monde de plus en plus déchristianisé, l’Église devait renoncer, dans un pays comme la France, à lutter pour le retour à l’Ancien Régime et se tourner vers les classes déshéritées. Gerlier, dans sa carrière, favorise les mouvements d’action catholique tels que la JOC, la JEC ou la JAC. Mais l’effondrement de la République en 1940 sera bien, pour lui, comme pour toute la hiérarchie, une « divine surprise » selon le mot de Charles Maurras.
Il accueillera le maréchal Pétain dans sa cathédrale le 18 novembre 1940 avec la formule célèbre d’adhésion politique active de l’Église de France au nouveau régime : « La France, c’est Pétain. Pétain, c’est la France ». La promulgation du programme corporatiste de la « Révolution Nationale » accompagnant l’interdiction de tous les partis et syndicats, la chasse aux Francs-Maçons, la dissolution des Écoles Normales d’instituteurs, des associations démocratiques comme la Ligue des Droits de l’Homme, la Libre-Pensée etc. sera saluée devant le Congrès de la Ligue ouvrière chrétienne par le cardinal Gerlier qui a reconnu les bases de la doctrine sociale de l’Église : « Travail , Famille, Patrie, ces trois mots sont les nôtres. »
L’évolution de la guerre, les premières défaites de l’Allemagne nazie vont amener certains cercles catholiques à réviser leurs choix politiques. Mais les liens idéologiques entre l’Église et l’État de Vichy sont étroits, et profonde la duplicité de la hiérarchie.
Ils vont être révélés à Lyon, après la guerre, par l’affaire Paul Touvier. Ce chef de la milice de Lyon a été un assassin et un gangster cupide. Il a fait tuer, entre autres, Victor Basch, président de la LDH clandestine et sept juifs en 1944 pour venger l’exécution par la Résistance du Goebbels de Vichy, le sinistre Philippe Henriot. Touvier sera condamné à mort par contumace en 1946. Cependant il échappera à la justice, caché, dès septembre 1944, par l’abbé Stéphane Vautherin, dans la cachette aménagée sous le plancher de sa maison de Fourvière. Les complicités en sa faveur vont loin : il s’échappe du palais de justice en 1967, comme par miracle, le président Pompidou lui accordera la grâce présidentielle en 1971. Il sera protégé et caché jusqu’en 1989, par de multiples membres élevés du clergé, plusieurs évêques, des bénédictins, des chartreux, des dominicains (au couvent d’Eveux) ou le Provincial des Jésuites.
Son protecteur le plus fidèle et dévoué a été Mgr Charles Duquaire, qui, après avoir été secrétaire du cardinal Gerlier, passera au service du cardinal Villot, secrétaire d’État du pape Paul VI.
La commission d’enquête confiée à l’historien catholique René Rémond que l’archevêque Decourtray chargera, en1989, de faire la vérité sur l’affaire épargnera Gerlier mais ne pourra blanchir l’Église.
La duplicité de l’Église de Lyon et de son cardinal éclatera une fois de plus à la mort d’Herriot en 1957. Le cardinal Gerlier porte la honte d’avoir voulu falsifier l’histoire et faire croire qu’Édouard Herriot, laïque, athée et libre penseur notoire, avait demandé des funérailles religieuses sur son lit de mort, « en parfait état de lucidité ».
Des remous s’ensuivirent pendant deux ans auxquels la veuve mit fin par cette phrase « Lorsque le cardinal lui a fait visite, le président n’avait plus sa conscience et ne pouvait reconnaître personne ». (Le Progrès 15 novembre 1959).
III Philippe BARBARIN – (archevêque depuis 2002)
A la date du 13 août, Le Progrès de Lyon, s’interroge : « Mais où est le cardinal Barbarin ? »
« Pas d’archevêque pour la procession ni pour la messe du 15 août, célébrée lundi à Fourvière. D’ordinaire, ce jour-là, fête de l’Assomption, c’est bien le Primat des Gaules qui officie dans la basilique dédiée à Marie. Mais cette année Philippe Barbarin n’est pas là… Il préside le pèlerinage de Lourdes… »
Absence bizarre ! On formulera l’hypothèse que le cardinal n’a pas pris le risque de s’exposer aux lazzi et aux interpellations publiques de fidèles – comme ceux qui lui reprochent d’être resté sourd et aveugle pendant des années aux plaintes des victimes des prêtres pédophiles de son diocèse et de s’être refusé à porter ces actes criminels à la connaissance de la justice. Son prédécesseur, on l’a lu, de Marbeuf, n’avait pas osé affronter les lyonnais. 1789, c’était l’ouverture de la tragédie révolutionnaire.
En 2016, personne ne persécute l’Église, l’attitude de Philippe Barbarin relève de la farce.
Il a eu cette barbarinade incroyable, aveu qu’il connaissait les faits et qu’en les cachant, jusqu’à leur prescription, il agissait sciemment : « La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits … ».
Il ne semble pas que les actes coupables de ses prêtres aient beaucoup alarmé les scrupules moraux et chrétiens du cardinal, pourtant défenseur de l’ordre moral, qui n’a jamais manqué de jouer les donneurs de leçons, pour dénoncer les IVG, l’avortement, comme le Droit à mourir dans la dignité ! Il s’est surpassé dans la campagne politique contre la loi du mariage pour tous à laquelle il a participé au premier rang. Une autre de ses barbarinades passera à la postérité, à ce propos :
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- - « Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou quatre. Après, un jour, peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera. Il y aura des demandes incroyables qui commenceront à se faire jour. »
Un procureur de la République a clos le dossier le 1er août.
Si on peut parler de « farce », c’est parce que, sous la Révolution, l’archevêque aurait risqué sa peau s’il avait manifesté contre la République, mais la Vème République n’a de République guère plus que le nom.
Le gouvernement affiche ses accointances avec les Eglises. Le cardinal a été ouvertement défendu aussi bien par le maire « socialiste » de Lyon, Gérard Collomb, que par le président « L.R. » de la Région, Laurent Wauquiez, sans parler du pape.
L’Église de Lyon a, depuis des années, investi les institutions de la République : elle en a reçu des subventions énormes et Gérard Collomb a embauché comme adjoint l’ex-président de la Fondation Fourvière, Jean-Dominique Durand, un des premiers officiers de l’archevêché.
Le mot de la fin sera accordé à un prêtre retraité, présent à la réunion présidée par le Cardinal le 25 avril à Écully, traitant des affaires de pédophilie dans l’Église, Georges Favre.
Il a déclaré à des journalistes, se croyant spirituel mais révélant cyniquement la vérité sur les mœurs ecclésiastiques :
- - « Ma position ? Je n’ai pas violé beaucoup d’enfants ; je suis assez clean à ce sujet-là. Heureusement, parce que vous auriez pu en faire partie, comme vous êtes très jeunes les uns et les autres ».
Pour rester dans le domaine de la farce, Philippe Barbarin a tenu à faire connaître, dans le premier interview donné au Progrès - en 2002 - , sa passion pour le personnage de Tintin, création du dessinateur belge Hergé, qui fut lui-même un personnage politique douteux.
Il a installé à l’archevêché un musée Tintin.
Ce héros inattendu du cardinal «lisse et conformiste, misogyne, antisémite et raciste », selon un journaliste, lui aurait, de son propre aveu, tout appris de la vie et de la société !
Faut-il commenter ?
M.P. –août 2016
Mata Hari, espionne d’opérette, fusillée pour raison d’État
Au cours de leur combat pour la réhabilitation collective des fusillés « pour l’exemple » de la 1ère guerre mondiale, la Libre Pensée et les organisations démocratiques associées se sont vu opposer l’argument spécieux selon lequel, parmi les fusillés, se trouveraient des condamnés de droit commun ou des espions.
Pour l’État-major, tout comme la fameuse Mata Hari, ces traîtres méritaient le poteau d’exécution !
Mais qu’en est-il de la célèbre espionne ?
On dispose maintenant d’une liste reconnue des condamnés présentés devant la justice militaire pour l’exemple, soldats victimes de l’arbitraire parce qu’ils refusaient d’aller à l’abattoir, choisis souvent parmi les « fortes têtes », quand ce n’était pas pour des peccadilles, voire au hasard et de façon totalement arbitraire.
Certes, Mata Hari n’entre en aucune façon dans la catégorie « chair à canon ». Avec elle, c’est d’une autre chair qu’il s’agit (que ne dédaignèrent pas Messimy, futur ministre de la guerre des gouvernements Caillaux et Viviani, ni Malvy, futur ministre de l’intérieur !) Huîtres, champagne, caviar et vodka, l’existence qu’elle mena avant et pendant la guerre est plutôt représentative de la condition des « planqués », viveurs et profiteurs de guerre enrichis. Pourtant, à y regarder de plus près, son cas relève d’une autre forme de l’arbitraire militaire et manifeste la barbarie d’une époque où la vie humaine ne valait pas la valeur d’une cartouche.
Considérée longtemps par le grand public comme « l’espionne » de haut vol par excellence (popularisée par une abondante littérature et par le cinéma), elle est aujourd’hui tenue pour une espionne sans envergure ni professionnalisme, et – toutes questions de vertu ou de moralité financière mises à part – autant coupable que victime.
Un article paru dans la « Revue historique des Armées » se conclut sur ces mots : « Le 24 juillet [1917], le procès débute. Après une première séance publique, le procès se poursuit à huis clos à la demande de l’accusation.
L’affaire est rondement menée. Mornet dénonce en elle « la Salomé sinistre qui joue avec la tête du soldat français ». Mata Hari est condamnée à mort. La date d’exécution est fixée au lundi 15 octobre 1917.
Elle meurt avec dignité sous les balles des douze sous-officiers de zouaves qui composent le peloton d’exécution.
La demi-mondaine qui fut agent double, sans probablement avoir jamais réellement espionné, entre désormais dans l’histoire. » (1)
Quant aux accusations d’espionnage, le même André Mornet, avocat général qui obtint la tête de Mata Hari (par la suite collabo et procureur du procès Pétain !)
devait reconnaître plus tard qu’« il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat ». Il s’agissait en effet de ragots, de secrets de polichinelle ou d’informations trop générales et donc sans portée. Exemple : « On dit que les Français se préparent à une grande offensive. ».
Ainsi la Revue historique des Armées rejoint, un siècle après, la position alors très isolée du journal « Le Bonnet rouge », d’inspiration libertaire et pacifiste, qui allait lui-même subir les foudres de la justice d’État.
Dans son n° du 16 juillet 1917, un certain Julien Sorel mettait en doute le rôle de la pseudo-espionne : « L’affaire est mystérieuse et, à la Sûreté, où nous avons voulu obtenir quelques renseignements, on observe le silence le plus énergique. Mata Hari espionne !
Cela ne semble guère possible. Elle n’était pas taillée pour jouer ce rôle. […] Se polir les ongles, se rosir les orteils, minutieusement épiler le triangle sacré, telles étaient les occupations de Mata Hari. » (2)
Qui était Mata Hari ?
Margaretha Geertruida Zelle est née le 7 août 1876 à Leeuwarden aux Pays-Bas. Elle est la fille gâtée d’un père faussement affublé du titre de « baron » qui quittera le domicile conjugal après son divorce et sa banqueroute.
Margaretha, élevée comme une « reine » mais tombée bien vite dans une gêne relative, cherchera toute sa vie le luxe. Autre goût immodéré qui la perdra : le prestige de l’uniforme.
Elle épouse sur un coup de tête un officier, Rudolf Mac Leod, qu’elle suit aux Indes néerlandaises. Le ménage n’est pas heureux longtemps. De retour en Europe en 1903, Margaretha divorce de son capitaine, violent et ivrogne. Elle gagne Paris où elle débute comme danseuse de charme sous les apparences d'une princesse javanaise dénommée Mata Hari (« L'oeil de l'Aurore » en malais) parrainée par le riche orientaliste Émile Guimet.
Sous un alibi ethnographique, elle s’offre nue en scène à la déesse Siva. Cette conception du sacré plaît beaucoup aux riches messieurs qui se l’arrachent pour des spectacles privés. Elle devient ainsi la coqueluche de Paris et des capitales européennes où elle se produit. Elle multiplie les liaisons et collectionne les protecteurs haut placés. Peu à peu, son étoile décline et ses besoins d’argent iront croissant.
Le début des ennuis
Lorsque la guerre éclate, en août 1914, Mata Hari se trouve à Berlin où elle a comme amant un officier du cru. Sur le chemin du retour elle est approchée par les services secrets allemands. Sa carrière d’espionne ne sera pas brillante : avant même son 2e retour à Paris, elle est « grillée ». En fait elle se pique de rendre service tout en soutirant de l’argent aux services d’espionnage ou de contre-espionnage qu’elle s’imagine mener par le bout du nez. Sa sympathie pour la France ne fait guère de doute (sinon pour ses futurs accusateurs) mais va bien davantage à l’argent facile.
Si elle pouvait, elle livrerait volontiers aux Français des secrets diplomatiques ou militaires. Seulement voilà : soit on ne la prend pas au sérieux, soit on se méfie d’elle à cause de sa propension à inventer, dissimuler, embellir son rôle, et à son incurable naïveté.
On la surveille, on la piège pour connaître son jeu, et à l’occasion on la manipule pour désinformer l’adversaire. Rapidement et des deux côtés, on cherche à s’en débarrasser.
De toute façon ce n’est pas en couchant dans le lit d’un diplomate de haut rang, qui plus est en se vantant de son carnet d’adresses, qu’on pénètre les secrets d’un conflit mondial.
Pour cette période, ses biographes divergent sur de très nombreux points de détail : il faut dire que ses petits mensonges, ses intrigues où la vie privée et amoureuse interfère avec les potins de la diplomatie internationale, rendent leur tâche complexe !
Seule constante : partout comme au Grand Hôtel de Paris, elle mène grand train, malgré son déclin irréversible sur la scène du grand monde.
Elle connaît une ultime passion pour un capitaine russe au service de la France, Vadim Maslov, âgé de 21 ans. Cette passion, coûteuse, l’amène à commettre de nouvelles imprudences.
Afin d’assouvir cette passion, d’autant que son amant a des soucis d’argent, elle se fait régulièrement envoyer de l’argent par un « protecteur » hollandais. Elle en a déjà reçu d’un peu tous les côtés –et même d’Allemagne - mais pas pour services rendus dans le renseignement. Cela finira de la perdre, car il lui sera impossible de prouver qu’elle n’a pas touché ces fortes sommes des mains de l’ennemi.
D’ailleurs est-ce cela qui intéresse l’état-major ?
Raison d’État
L’année 1917 est celle des mutineries. Personne ne comprend pourquoi la guerre s’éternise. Pourquoi cette boucherie interminable ? Il faut à l’opinion publique des « coupables ». C’est le moment où « l’espionnite » devient la réponse à tous les problèmes, et le soupçon de trahison une paranoïa nationale. Grève des ouvrières de
l’armement à Paris ? Trahison ! Les bolcheviques en Russie ? Trahison ! L’ennemi est partout.
Nombreux sont les espions – et les espionnes- exécutés en 1917. Mata Hari ne sera pas la seule victime, mais elle est célèbre et donc une coupable idéale.
Qui plus est, elle est toujours de nationalité néerlandaise. C’est une étrangère !
On connaît la suite : arrestation, procès bâclé, condamnation sans preuve. On était incapable de citer un seul « secret » livré aux Allemands par l’aventurière !
Parfois le roman d’espionnage côtoie le vaudeville. Auguste Messimy, le ministre de la guerre de 1914, est convoqué comme témoin au procès. Retenu chez lui par d’astucieux rhumatismes, il délègue son épouse qui lit sa lettre où il prétend n’avoir jamais rencontré Mata Hari. Celle-ci explose : « Ah, il ne m’a jamais connue, celui-là ! Eh bien ! il a un riche toupet ! »
Après l’exécution de l’espionne, le dossier s’est dégonflé. En 1937, la célèbre « Fraülein Doktor », qui travaillait pour le renseignement allemand à Anvers et à qui Mata Hari aurait dû rendre des comptes, affirma dans ses mémoires: « Pas une des nouvelles qu'elle a envoyées n'était utilisable, et ses informations n'ont eu pour nous aucun intérêt politique et militaire. »
L’histoire montra que les informations données étaient sans importance. Mata-Hari était une espionne d’opérette. A la scène elle s’était forgé un personnage fictif grâce à ses années passées en Indonésie.
Elle fit de même en en voulant « jouer dans la cour des grands », ceux qui mènent vraiment les destinées du monde. Elle paraît même n’avoir jamais soupçonné la gravité de ses actes, du moins à une époque où on fusillait sans hésiter au nom de la raison d’État.
En 2001, l’ancien résistant Léon Shirmann, qui a épluché les archives françaises et allemandes a rassemblé un dossier qui reprend tout ce qu’on pensait savoir sur Mata Hari (3).
Selon son éditeur, Jean-Pierre Turbergue, « preuve serait faite que plusieurs membres du contre-espionnage français auraient délibérément menti sous serment pendant le procès, car "elle avait une attitude qui pouvait révolter les Français" en temps de guerre. » (Ce qui, en soi, n’est pas faux).
Depuis 1992, la fondation néerlandaise Mata Hari et la ville natale de la danseuse, Leeuwarden, ont engagé une requête en révision du procès.
En 2001, Marylise Lebranchu, ministre de la Justice, seule habilitée à donner suite à une démarche n'émanant pas des descendants de la condamnée, a rejeté la requête.
La demande insistait sur le fait que les droits de la défense auraient été bafoués par la justice militaire. Tiens donc ! Nous aussi, nous en savons quelque chose.
P.G.
(1) Frédéric Guelton, « Le dossier Mata Hari », Revue historique des armées, 247 | 2007, 82-85.
- (2) Cité par Jean-Marc Loubier « Mata Hari la Sacrifiée» - Acropole, 2000, p. 152.
- (3) Léon Schirmann « Mata Hari - Autopsie d’une machination» 2001, ed. Italiques
Du Célibat polygamique (3e partie)
Dans la 2e partie de cet article, nous en étions restés au concile de Trente (1545 – 1563) lequel décida :
« Si quelqu’un prétend que le mariage est préférable à la virginité ou au célibat, qu’il soit anathème ! »
C’était le triomphe du célibat. Pourtant des tentatives avaient eu lieu. Elles offrent des analogies étonnantes.
Sirice d’abord, évêque de Rome de 384 à 399. Avec lui, pour la première fois un avis de l'évêque de Rome devenait une loi pour l'ensemble de l'Église. Il est le premier pape et l’auteur de la première décrétale connue (lettre pontificale sur des questions de discipline ou de droit canonique).
Par ses missives il enjoignait aux évêques d'Afrique d’appliquer les canons conciliaires.
Le premier concernait précisément la consécration de l'évêque et l'obligation de chasteté des clercs.
Le second exigeait une enquête préalable sur les candidats aux ordres. Ainsi naît la papauté.
Les clercs n’en deviendraient guère plus vertueux.
Puis Grégoire VII (1073-1085) : connu comme un des grands papes de l’Histoire, autrement dit… comme un des plus fanatiques, Grégoire VII était préoccupé d’asseoir la primauté absolue de Rome. Il réforma l’Église en autocrate et pour cela il lui fallait un personnel « aux ordres ».
Notons que c’est sous son pontificat, en 1078, que l’archevêque de Lyon fut élevé au titre de « primat des Gaules ». Rien d’étonnant, en somme, à ce qu’il imposât l’ancienne coutume du célibat des prêtres (très inégalement observée) avec une rigueur toute particulière. Cette réforme ne dura pas et la nature reprit ses droits.
Saint Jérôme, qui fut son contemporain, disait de Sirice : « C’est un imbécile ». Pierre Damien, collaborateur de Grégoire VII, appelait « saint Satan » ce prêtre qui aurait fait deux siècles plus tard un grand Inquisiteur très présentable.
Y a-t-il corrélation entre les jugements peu flatteurs portés sur ces deux pontifes, leur fanatisme, leurs volonté d’enrégimenter le clergé et leur souci de ne pas voir les clercs se reproduire par la voie naturelle ? Nous laisserons le lecteur méditer sur ces questions.
Encore le catholicisme n’était-il pas en danger sous Sirice ni sous Grégoire. Il en allait autrement au temps de la Réforme protestante.
Libre interprétation des Écritures, rejet de la simonie, des indulgences, de l’idolâtrie et de l’autorité papale, tout cela sur fond de révolte des cités et de provinces dans toute une partie de l’Europe : ce n’était plus une alerte comme au temps des grandes hérésies, mais un embrasement général. L’Église papiste devait réagir.
Le célibat des prêtres fut l’une des conséquences, cette fois définitive, de la Contre-réforme.
Georges Las Vergnas cite à propos ce dicton espagnol : « Torero marié, torero fini» ainsi que les propos de Lyautey : « Un de mes hommes qui se marie est un homme diminué de moitié » (cette moitié étant précisément sa femme).
Or il fallait à la papauté une armée nouvelle de clercs dévoués jusqu’au sacrifice, sans attaches matérielles ou familiales, prêts à observer une obéissance complète : « perinde ac cadaver », ce qui signifie littéralement « à la manière d'un cadavre ». Hormis dans quelques films d’épouvante, les cadavres n’ont pas de vie sexuelle.
Les justifications théologiques allaient suivre, au mépris des textes bibliques qui se ressentent encore de la méfiance juive envers le célibat, même chez les Apôtres : pour les Juifs il fallait « croître et se multiplier », une nombreuse descendance étant signe d’élection divine.
Il ne faudrait pas croire pourtant que les chrétiens furent les premiers à sacraliser la chasteté et appris à mortifier la chair. Certaines tendances du judaïsme, tels les Esséniens ou Thérapeutes, professaient déjà l’abstinence. Les cultes à mystère pouvaient aller plus loin encore : les prêtres de Cybèle et d’Attis, les Galles, pratiquaient l’auto-castration à l'occasion de la fête annuelle des sanguinaria. Si cela pouvait les rendre heureux !
Il ne faut pas oublier non plus que tous les guérisseurs, voyants, faiseurs de miracles comme le furent probablement certains des premiers personnages de l’Église, étaient assimilés à des magiciens. On leur demandait de protéger les récoltes, de guérir les maladies, de veiller aux sources. Et les magiciens ont toujours été situés par la superstition populaire hors de la société commune, obéissant à des règles de vie particulières. Cette singularité se retrouve dans bien des religions : sinon pourquoi aurait-on demandé aux Vestales d’être des Vierges consacrées ?
La théologie chrétienne considère elle aussi qu’on ne peut être à la fois marié à une épouse charnelle et à l’Église, corps mystique du Christ.
Le célibat requis de la part des prêtres allait se heurter à un dernier obstacle : la chasteté absolue est une grâce, comme le don de parler en langue ou celui de guérir les écrouelles.
Or on ne peut imposer une grâce, qui ne dépend pas de la volonté humaine, mais d’un choix divin. On passa outre : pour le prêtre pas d’échappatoire, et le résultat fut monstrueux.
Laissons le dernier mot (provisoirement) à Georges Las Vergnas : « Au lieu de la fuite, on impose aux clercs un perpétuel supplice de Tantale qui conduit la plupart d’entre eux à la névrose, beaucoup au libertinage, quelques-uns au crime. (…) C’est au défaut d’échappement, dit Gide, que la force sexuelle doit sa violence. »
Dans un prochain article nous verrons quelles formes revêt cette tension érotique et quelles déviations trop prévisibles en sont la conséquence.
(à suivre)
P.G.