Jean-Jacques Rousseau à Lyon : encore un « abusé de l’Eglise » ?
En 1830, âgé de 20 ans, le jeune Jean-Jacques Rousseau se trouve à Lyon. Ses mésaventures dans notre ville sont narrées dans un numéro des « Rues de Lyon » (n° 112, avril 2024 – « Les mésaventures lyonnaises du promeneur solitaire »). La BD reproduit la rencontre qu’il a eu avec un prêtre libidineux. Comme quoi lcertains invariants traversent les siècles. Il nous a paru intéressant de rapporter cet épisode tiré du livre IV des « Confessions ».
Rousseau raconte d’abord, en termes pudiques, comment un homme l’avait déjà abordé place Bellecour, venant s’asseoir à ses côtés pour assez vite lui proposer de « s’amuser de compagnie ». Le futur philosophe attendit de savoir quel était cet amusement, et, dit-il, « sans rien ajouter, il se mit en devoir de m'en donner l'exemple. Nous nous touchions presque, et la nuit n'était pas assez obscure pour m'empêcher de voir à quel exercice il se préparait. » Jean-Jacques s’enfuit à toutes jambes.
Peu après, il a une aventure du même genre, qui le met en plus grand danger. A bout de ressources, il se résout à passer une nuit à la belle étoile. Laissons-lui la parole :
« … déjà je m'étais établi sur un banc, quand un abbé qui passait, me voyant ainsi couché, s'approcha, et me demanda si je n'avais point de gîte. Je lui avouai mon cas, il en parut touché. Il s'assit à côté de moi, et nous causâmes. Il parlait agréablement : tout ce qu'il me dit me donna de lui la meilleure opinion du monde. Quand il me vit bien disposé, il me dit qu'il n'était pas logé fort au large ; qu'il n'avait qu'une seule chambre, mais qu'assurément il ne me laisserait pas coucher ainsi dans la place ; qu'il était tard pour me trouver un gîte, et qu'il m'offrait, pour cette nuit, la moitié de son lit. J'accepte l'offre, espérant déjà me faire un ami qui pourrait m'être utile. Nous allons. Il bat le fusil [i.e. : il allume un briquet]. Sa chambre me parut propre dans sa petitesse : il m'en fit les honneurs fort poliment.
(…) Soit que, sachant que je pouvais être entendu, il craignît de me forcer à me défendre, soit qu'en effet il fût moins confirmé dans ses projets, il n'osa m'en proposer ouvertement l'exécution, et cherchait à m'émouvoir sans m'inquiéter. Plus instruit que la première fois, je compris bientôt son dessein, et j'en frémis. Ne sachant ni dans quelle maison ni entre les mains de qui j'étais, je craignis, en faisant du bruit, de le payer de ma vie. Je feignis d'ignorer ce qu'il me voulait ; mais, paraissant très importuné de ses caresses et très décidé à n'en pas endurer le progrès, je fis si bien qu'il fut obligé de se contenir. Alors je lui parlai avec toute la douceur et toute la fermeté dont j'étais capable ; et, sans paraître rien soupçonner, je m'excusai de l'inquiétude que je lui avais montrée sur mon ancienne aventure, que j'affectai de lui conter en termes si pleins de dégoût et d'horreur, que je lui fis, je crois, mal au coeur à lui-même, et qu'il renonça tout à fait à son sale dessein.
(…) Comme à Paris, ni dans aucune autre ville, jamais rien ne m'est arrivé de semblable à ces deux aventures, il m'en est resté une impression peu avantageuse au peuple de Lyon, et j'ai toujours regardé cette ville comme celle de l'Europe où règne la plus affreuse corruption. »