Entre, lecteur, et descends aujourd’hui avec nous dans un monde habité de faits à peine croyables. Et tentons d’y mettre un peu de lumière.

Au point de départ : un film documentaire de Pierre Barniéras : « Les Survivantes », réalisé hors des circuits commerciaux et qui a bouleversé ses spectateurs, toujours plus nombreux. « Huit survivantes racontent leurs expériences éprouvantes au sein d'un vaste réseau de pédophiles, exposant le système qui a permis des abus aussi horribles et posant la question de savoir combien de temps il persistera. » Il y est question de tortures physiques et psychologiques, de viols et de pratiques dégradantes, et même de « chasses à l’enfant » au milieu des forêts. Ce monde-là existe, et les témoignages recueillis ne laissent guère de doute sur cette triste réalité.

La participation de prêtres au sein de réseaux pédophiles est mentionnée, mais parmi les témoins, l’une d’elles lance des accusations troublantes. Hélène Pelosse (tel est son nom) affirme avoir reconnu formellement le cardinal Renard, identifié sur des photos bien après qu’enfant elle eut croisé sa route. Rappelons qu’Alexandre Renard, né à Versailles et décédé en 1983 à Paris, a été archevêque de Lyon de 1967 à 1981, prédécesseur d’Albert Decourtray.  Ce n’est pas tout : dans des vidéos qu’on peut trouver sur internet, elle met en cause René Dupanloup, décédé en 1994 dans l’Ain, et évêque de Belley de 1975 à 1987. Rien de moins. Précisons que ce Dupanloup n’a pas de lien de parenté, sinon très lointain, avec l’évêque d’Orléans, de grivoise réputation, qui fit de Jeanne d’Arc une sainte. Les pratiques sexuelles de René Dupanloup seraient bien pires que celles de son célèbre homonyme de la chanson.

Depuis des années de révélations, on ne s’étonne plus de rien. Mais quand même ! Les deux prélats seraient non seulement des pédophiles (pourquoi pas ? on en a vu d’autres) mais de plus impliqués dans des réseaux satanistes. Faut-il le croire ?

Réflexions et hypothèse

Les lignes qui suivent n’engagent que l’auteur de ces lignes.

Nous allons voir qu’au-delà du témoignage d’Hélène Pelosse, la place obscurantiste et l’hypocrisie du clergé catholique sont engagées, pas de façon directe, mais dans un registre plus inattendu.

Il n’est pas question de douter des horreurs qu’Hélène Pelosse a vécu dans son enfance, ni du témoignage des autres femmes présentes à l’écran. L’existence de réseaux pédo-criminels est un fait connu. Mais dans le film Mme Pelosse est la seule à mettre l’accent sur le pédo-satanisme. Sur les « révélations » qu’elle détient, il est indispensable de prendre du recul. Les vidéos visibles sur Youtube nous montrent d’elle un visage sensiblement différent de celui du film : une femme au langage certes structuré, ancienne élève de l’ENA ayant exercé de hautes fonctions, de très hautes fonctions même (nous y reviendrons dans un article futur), mais aussi quelque peu « allumée », sauf son respect. Un haut niveau de compétences d’un côté, comme cela apparaît dans son profil Wikipedia, où l’autre côté de sa personnalité est curieusement absent. Son langage est celui d’une mystique qui appelle à élever un « mur de prière » pour combattre le satanisme. Elle se dit protégée par le ciel, grâce à quoi elle a survécu non seulement aux tortures de son enfance, mais à des tentatives de meurtre « par ondes ». C’est ainsi qu’on lui a brûlé le sexe à distance. Elle a été elle-même sous emprise et donc téléguidée par ses tortionnaires. Elle est capable de reconnaître les MK (Mind Kontrol) à leurs pieds de bouc. Elle les a même vus. Elle a fait aussi une tentative de suicide et s’est tirée de tout cela grâce à des années passées en séances d’exorcisme. Dieu est grand.

Elle affirme que les autres femmes du film ont été victimes des sectes pédo-satanistes, lors de séances auxquelles assistait le président François Mitterrand. Mme Pelosse affirme que les enfants d’une des intervenantes du film ont été torturés sous la pyramide du Louvre en présence du président Emmanuel Macron. Diable ! Pourtant l’intervenante en question n’en dit mot dans le film. Bien sûr, on peut toujours croire (ou faire croire) qu’on ne parle pas par peur de représailles. Mais la Pyramide du Louvre, comme dans le « Da Vinci Code », c’est pousser la théorie du complot un peu loin. Le documentariste, un journaliste catholique connu pour des prises de position polémiques et conservatrices, voire complotistes, avait-il connaissance de ces déclarations lunaires ?

Tiens, je ne savais pas que j’aurais à défendre un jour l’honneur d’Emmanuel Macron ! Etrange affaire décidément.

La piste de l’exorcisme

Les « révélations » de Catherine Pelosse viennent d’ailleurs. Mais d’où ?

Nous connaissons une autre personne qui a été exorcisée, et qui, pour le coup, a parfaitement la tête sur les épaules. Il s’agit de Mme Catherine Giraud, victime d’un accompagnateur spirituel carme indélicat (euphémisme) et d’un exorciste compulsif avec son entourage toxique (une naturopathe, on est en plein mélange des genres).

Catherine a fait deux ans de thérapie et a repris une vie normale. Elle a fait un signalement au Parquet de Lyon, mais le dossier a été classé sans suite.

Reconnaissant un diagnostic péremptoire de possession satanique et la responsabilité de l’accompagnateur dans la détérioration psychologique de Catherine Giraud, l’ordre des Carmes déchaux a consenti à verser la somme symbolique et bien insuffisante de 2000 € en guise de participation à la prise en charge de sa psychothérapie.  Ce dédommagement est d’autant plus remarquable qu’il n’a pas été demandé, surtout quand on sait combien l’indemnisation des victimes sexuelles de l’Eglise a été compliquée même après la parution du rapport Sauvé. Il est l’aveu d’une faute et montre sans doute la volonté d’éviter un scandale de plus sur un nouveau front. Quant à la CIASE, elle n’a pas traité des affaires d’exorcisme, qui n’entraient pas dans son champ de compétence.

En février 2024, les diocèses de Lyon et Paris et la communauté de l’Emmanuel (triple hiérarchie dont dépendait l’exorciste) ont publié un communiqué commun indiquant les sanctions prise à l’encontre du prêtre exorciste Emmanuel Dumont, sans toutefois préciser le motif précis des sanctions. Ce n’est qu’au printemps 2024 que Catherine Giraud a été reçu à l’évêché de Lyon puis la destinataire d’un courrier qui reconnaît les atteintes spirituelles graves dont elle a été victime.

Nous avons publié dans l’An II la lettre qu’elle a adressée à Mgr de Moulins-Beaufort à propos de faits incriminant Mgr Michel Santier et en revenant sur son histoire personnelle. La lettre posait des questions comme : « Combien de temps faudra-t-il donc encore attendre pour que les annonces, les déclarations, les communiqués des évêques lors de ces affaires médiatisées soient vraiment suivis des actes, ce que vous désignez peut-être sous le terme de « bonnes pratiques » au niveau des diocèses ? (…) Combien de temps encore les victimes devront-elles quémander et se battre avec les autorités ecclésiastiques pour obtenir des réponses à leurs questions et une vraie reconnaissance ? »

Or Mme Giraud a eu connaissance – bien avant les témoignages allégués dans le film – des mêmes théories complotistes colportés autour du film. Ces théories étaient en effet relayées dans la cellule d’exorcisme du diocèse de Lyon. Elles proviennent d’un ouvrage, écrit sous le pseudonyme d’Alexandre Lebreton, qui semble être le bréviaire de nos exorcistes patentés. Cet ouvrage de 700 pages, passablement confus et répétitif semble-t-il, si l’on en croit les réactions recueillies sur internet, est intitulé « MK ».

En voici une ébauche de présentation : « Pour la première fois dans le monde francophone, un livre tente d'explorer les sujets complexes que sont les abus rituels traumatiques et le contrôle mental qui en découle. Il s'agit ici d'approfondir la lourde question de la pédo-criminalité élitiste, aussi appelée le pédo-satanisme. Comment réagit le cerveau d'un enfant soumis à de telles horreurs ? Comment est-il possible de programmer mentalement un être humain ? Quelles sont les racines de telles pratiques ? (…) nous découvrons petit à petit que ces pratiques psycho-spirituelles, consistant à créer de profonds états modifiés de conscience par des traumatismes, sont une boîte de Pandore permettant de perpétuer un esclavage mental mais aussi d'accéder à d'autres dimensions. Il s'agit d'un monde occulte et sous-terrain, mais qui paradoxalement nous parle d'illumination tout en s'affichant clairement sous les projecteurs du grand théâtre mondial, notamment dans le show-business. » Bien entendu les praticiens du MK ont pour but de dominer le monde. Et ils sont capables de téléguider leurs victimes à distance.

Le diocèse de Lyon, autour de sa cellule « exorcisme » placée sous l’autorité de l’archevêque Philippe Barbarin, a participé au colportage toxique de ces fariboles, le diocèse ayant reconnu tout récemment que son ancien exorciste avait posé des affirmations sans fondement. Selon Emmanuel Dumont, des personnes auraient été victimes d’abus sataniques au cours de leur enfance. Catherine Giraud aurait été selon lui de ces personnes et le témoignage qu’elle en a donné ses rencontres avec l’exorciste fait état de faux souvenirs induits. Il n’est pas étonnant d’en constater l’influence dans les propos de Catherine Pelosse. On sait aussi que Barbarin a lui-même nommé Emmanuel Dumont au poste d’exorciste, et l’a protégé malgré des messages d’alarme dès 2016.  En tant qu’évêque, la responsabilité de Barbarin est entière. On lit, sur le site édité par la conférence des évêques de France, que « l’exorcisme fait partie du ministère de l’évêque. De manière habituelle, il délègue cette mission à un prêtre qu’il nomme exorciste pour un temps donné. L’exorciste ne peut agir que dans son diocèse sauf dérogation spéciale au cas par cas. »

En conclusion : Mme Pelosse a vécu des expériences traumatisantes, sans nul doute, et cela peut partiellement excuser ses délires. Après les épreuves de son enfance, vinrent les séances de désenvoûtement, dont elle semble avoir été la victime consentante. Selon toute vraisemblance, un lavage de cerveau en règle lui a révélé qu’Emmanuel Macron a présidé des rituels satanistes, que la famille royale de Belgique était impliquée tout entière dans ce genre de séances, et que les « MK » étaient prêts à dominer le monde. L’exorcisme : seconde expérience traumatisante elle aussi, d’une autre façon. Les faits que Mme Pelosse met en avant viennent de théories abracadabrantes colportées et donc accréditées par l’Eglise et ses cellules d’exorcisme, institutions moyenâgeuses entre toutes, où l’on pratique encore des procès en sorcellerie, avec recherche des piqûres sur tout le corps pour trouver par où le Malin a pu entrer.

Il n’est pas question de contester la participation de prêtres à des réseaux pédophiles, ni même l’éventuelle appartenance de brebis égarées à des réseaux satanistes : Michelet, parmi d’autres, a montré à quel point les eaux de d’exorcisme, de la possession et de la sorcellerie pouvaient être troubles. Mais nous sommes au XXIème siècle, et on aurait cru ces pratiques révolues.

Assez pour aujourd’hui avec ce sujet à tiroirs ! Comme chez Dante, chaque cercle de l’enfer invite à descendre toujours plus profond. Nous essaierons d’en savoir plus, mais sans nous égarer !

La conclusion de cet article n’est que provisoire. Les ténèbres obscurantistes sont bien assez épaisses comme ça, ce n’est pas la peine d’en rajouter.

P. GIROD