éDITORIAL
Cette année encore, M. Wauquiez s’est étalé à l’Hôtel de Région avec sa collection de crèches. Sous couvert d’exposition, la loi de 1905 est contournée. Une crèche : c’est interdit, le conseil d’Etat l’a clairement rappelé. Une exposition : cela ne s’interdit pas. Précisons : cela ne s’interdirait pas si l’événement était exceptionnel. Mais M. Wauquiez voudrait en faire une tradition. Le subterfuge ne trompe personne. C’est pourquoi cette initiative cléricale est peu intelligente. A terme, elle pourrait s’avérer contre-productive.
Tout comme sont particulièrement maladroites les « chartes de la laïcité » adoptées à Orléans et à Montpellier. A Orléans, la charte adoptée met en pause la loi de 1905 durant la fête de Jeanne d’Arc, et les élus peuvent y participer avec leurs écharpes.
A Montpellier, on demande aux associations de promouvoir la laïcité, alors que le conseil municipal ne l’applique pas lui- même et vote pour la 11ème année consécutive une subvention au culte catholique de saint Roch.
Un peu partout, la mode des chartes fait florès. En région Ile de France, Valérie Pécresse impose sa charte, et elle subventionne une association d’insertion par les valeurs de l’armée et de l’église (à hauteur de 250 000 euros). Elle participe à une manifestation contre les prières de rue des musulmans et appelle à un « concordat pour un islam républicain ».
En leur temps, de telles chartes auraient pu inspirer MM. Collomb et Barbarin pour donner un vernis légaliste à la cérémonie du Vœu des Echevins. Malheureusement pour eux, à présent c’est trop tard !
Beaucoup trop tard, car la logique des chartes est en passe de devenir un problème. La différence de traitement entre les différents cultes est trop voyante. A tel point que le mot « charte » a disparu du projet de loi contre le ci-devant séparatisme devenu « loi pour conforter les principes républicains ». De même, le terme « labellisation » n’est plus en odeur de sainteté – si l’on ose dire. Mais en mettant sous contrôle l’ensemble des associations habilitées à délivrer des reçus fiscaux (par un contrôle systématique tous les cinq ans), c’est bien la même logique de « labellisation » que l’exécutif entend poursuivre. « La République demande l’adhésion de tous » nous dit-on. Malheur donc aux associations qui n’adhèrent pas à l’idéologie d’état ! C’est la liberté de conscience qui serait mise en cause. Prenons un exemple : aura-t-on encore le droit d’être royaliste ? En toute logique, ce ne serait plus possible, un royaliste étant par définition opposée aux valeurs républicaines.
La Libre Pensée n’a jamais eu d’accointances avec les royalistes, mais ce n’est pas le problème. Toute position politique, politique ou religieuse doit pouvoir s’exprimer. Celle des laïques comme celle des anti-laïques. Celle des croyants comme celle des non-croyants.
En mettant sous tutelle les associations, cultuelles ou non, habilitées à recevoir des subventions, l’Etat porterait atteinte non seulement à l’esprit de la loi de 1905 (puisqu’il serait appelé à juger de ce qui est cultuel ou pas) – mais aussi à la liberté d’association formalisée par la loi de 1901. Elle introduirait l’obligation pour l’organisme bénéficiaire d’une subvention de signer un « contrat d’engagement républicain », analogues à ceux qui sont actuellement imposés par des collectivités ou entreprises sous forme de « chartes ». Le projet de loi comporte d’autres aspects liberticides, comme l’introduction d’une forme de responsabilité collective qui punirait un groupe pour les actes ou les simples propos d’une seule personne. Elle ferait porter sur les associations la charge d’assurer elles-mêmes l’ordre public. Cela fait beaucoup, et s’intègre à d’autres mesures répressives prises par décret ou formalisées par le projet de loi sur la « sécurité globale ».
On sait quel accueil a été réservé dans la rue à ce projet en décembre, la mobilisation va se poursuivre en janvier. Non, ce n’est pas fini !
P.G.
La Libre Pensée du Rhône ne saurait trop vous inciter à la visio-conférence qui saura lieu le 27 janvier sur le thème « Liberté d’association et liberté de conscience » avec Dominique Goussot, responsable de la commission juridique de la Libre Pensée. Sa compétence nous assure un éclairage indispensable en ce début d’année 2021, année des libertés à reconquérir.
Laïcité Rhône : Quelle ÉCOLE ?
En rebaptisant son projet de loi contre le séparatisme « loi confortant la laïcité et les principes républicains », l’exécutif a pris un risque. Le voilà menacé d’être pris à partie sur toutes les entorses à la loi de Séparation. La laïcité ne se divise pas et son principe doit s’appliquer à tous les cultes. Il y a du travail ! Petit tour d’horizon, à travers quelques exemples rhodaniens :
Comme nous l’avions dès longtemps analysé, en rendant l‘école obligatoire dès l’âge de 3 ans par la promulgation de la « Loi pour une école de la confiance » de juillet 2019, le gouvernement a contraint les communes à financer l’école privée dès la maternelle.
Décines-Charpieu : la Ville doit payer deux fois plus pour financer l’école privée
Les élus ont voté la signature d’une nouvelle convention avec l’école privée Jeanne-d’Arc, qui voit sa subvention augmenter de 15 % entre 2019 et 2020. Pour chaque élève de maternelle, la contribution nouvelle s’élève à 1 402 € pour un total de 82 718 €. Cette situation est strictement encadrée et la Ville devrait percevoir une compensation de la part de l’État pour les frais de fonctionnement des maternelles.
Les élus de gauche et écologistes se sont abstenus sur cette délibération car « cette modification de la loi n’est qu’une étape de la privatisation rampante de l’Éducation nationale républicaine, constituant selon nous à un grave recul de civilisation. Ne pouvant aller contre la loi, il ne nous reste que notre refus de vote pour montrer notre désaccord avec cette loi. »
Même situation à Villeurbanne
Le 22 juin dernier, le Conseil municipal décidait à la majorité « d’approuver le montant du forfait élémentaire pour l’année scolaire 2019-2020 [991,81 € par élève] et le solde à verser aux écoles privées sous contrat au titre de ce forfait » (…) et « d’approuver le montant du forfait maternelles pour l’année scolaire 2019-2020 et le montant de la participation à verser aux écoles privées sous contrat au titre de ce forfait ». Comme il était rappelé dans le rapport introductif : le code de l’éducation dans son article L442-5 prévoit que « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l’enseignement public ».
Cette délibération était prise à la majorité, non à l’unanimité. Au nom du groupe « Radicaux, Génération-Écologie et Citoyens » ? Jonathan Bocquet déclarait : « Vous n’avez pas voulu défendre l’abrogation de la loi CARLE et DEBRÉ. Mais dans le même temps, beaucoup ici défendaient l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire à 3 ans. Félicitations, vous avez eu gain de cause. (…) Aujourd’hui, certains ici ont réclamé et maintenant se réjouissent que l’État compense ces subventions. Mais, navré de vous rappeler, que cela ne change absolument rien au problème. Il ne s’agit pas d’un problème comptable. La défense de l’École Publique, ce n’est pas un souci de ligne budgétaire. Ce n’est pas la question de savoir si l’argent est pris de la poche de l’État ou de la mairie. D’autant plus que dans les deux cas, il est pris dans la poche du contribuable. Et c’est ici que repose la question philosophique et politique : le contribuable doit-il contribuer à des services auxquels tous n’ont pas accès ? Non. Le contribuable doit il contribuer à autre chose qu’aux services de la communauté nationale ? Non. Le contribuable, contribue au financement des services publics, pas de ses concurrents. Alors sauf si vous souhaitez construire des DSP autour de l’éducation… il va vous falloir vous résoudre à une chose : cessez de vous lamenter sur les conséquences et combattez la cause. La cause est simple : la loi CARLE et la loi DEBRÉ. »
Les Sauvages : pas d’école publique, une mère d’élève raconte son "parcours du combattant"
Aux Sauvages, l’école élémentaire privée Sainte-Marie est un établissement privé accueillant 71 enfants. Une mère d’élève, revient sur les difficultés pour scolariser son enfant dans le public, ce qui n’était possible qu’à Amplepuis. En 2018, certains parents s’étaient déjà émus de l’absence d’école publique aux Sauvages : « C’est dommage que nous n’y ayons pas accès », « ça m’embêtait de ne pas avoir le choix ». Interrogée, la maire Annick Lafay répondait à l’époque que l’établissement était « l’école du village », et évoquait « des commentaires très marginaux. » « Du reste, nous n’avons jamais eu trop de demandes pour une école publique ».
À la rentrée, le sujet refait surface. Notre mère d’élève, dont le fils est scolarisé à l’école Sainte-Marie veut changer son fils d’établissement pendant le confinement, en faveur d’une école publique dans une localité voisine. « J’ai appelé la mairie d’Amplepuis, je pensais qu’il y avait un accord entre les communes. » C’est la douche froide, une dérogation est nécessaire. « J’ai pris contact avec la maire via mail, pour lui demander la dérogation. » La maire lui répond « qu’elle ne donnera pas d’avis favorable pour une inscription dans une autre école », la commune en possédant déjà une. Elle multiplie alors les démarches pour faire valoir son droit à inscrire son enfant dans le public : un médiateur, l’inspecteur académique de Tarare, le rectorat.
Elle s’adresse alors par mail à la préfecture du Rhône, sans réponse. Finalement, elle réussit à obtenir une dérogation qui permettra à son enfant d’être scolarisé dans l’école élémentaire publique d’Amplepuis. « Il y a beaucoup d’enfants scolarisés dans la commune, pourquoi ne pas avoir une deuxième école, publique, aux Sauvages, ou un accord entre les communes, pour répondre à la problématique du transport scolaire notamment ? »
Une école publique, c’est ce que dit la loi :
Article L212-2 du Code de l’Éducation
« Toute commune doit être pourvue au moins d’une école élémentaire publique. Il en est de même de tout hameau séparé du chef-lieu ou de toute autre agglomération par une distance de trois kilomètres et réunissant au moins quinze enfants d’âge scolaire. Un ou plusieurs hameaux dépendant d‘une commune peuvent être rattachés à l’école d’une commune voisine. Cette mesure est prise par délibération des conseils municipaux des communes intéressées. »
Article R211-2 du Code de l’Éducation
« Dans le cas où l’organisation du service public l’exige, le préfet du département, sur proposition du directeur académique des services de l’Éducation nationale agissant sur délégation du recteur d’académie, et après avis du conseil départemental de l’Éducation nationale, peut mettre en demeure le conseil municipal intéressé de fournir un local convenable affecté au fonctionnement de l’école ou de la classe. Faute pour la commune d‘avoir fourni ce local dans le délai fixé par le préfet, celui-ci décide de la création de l’école ou de la classe. »
Mme Lafay avance « qu’avoir une école privée sous contrat présente plusieurs avantages : les parents ne sont pas soumis aux grèves, quand un enseignant est absent il est immédiatement remplacé ».
Contacté, le rectorat de l’académie de Lyon évoque « une situation unique », et la préfecture du Rhône indique : « La période du confinement et le report des élections n’ont pas permis d’engager les discussions avec cette commune ».
Situation unique ? Pas tant que ça !
Situation similaire à Saint-Vincent-de-Reins
M. Jean-François Terrier, maire de Saint-Vincent-de-Reins, explique : « À Saint-Vincent-de-Reins, nous avions une école publique, qui a fermé au début des années 1970, faute d’élèves. Aujourd’hui, nous n’avons qu’une école privée dans la commune.
La question d’ouverture d’une école publique ne s’est jamais posée, et nous n’avons pas eu de demandes de parents d’élèves à ce sujet.
Au minimum, il faudrait 20 enfants, maternelle et élémentaire confondues, pour ouvrir une classe, et ce, sur décision de l’inspecteur académique. »
En somme : assez d’élèves pour le privé, trop peu pour le public ?
Meyzieu : pose de la première pierre du lycée Sainte-Marie
Ce sont les maristes qui ont entrepris la construction d’un nouveau lycée privé catholique à Meyzieu, appelé à contribuer « au rayonnement et à l’attractivité de la commune ».
Et c’est la Région AuRA, son président Laurent Wauquiez en tête, qui soutient l’opération et met en avant le manque criant de structures éducatives dans l’est lyonnais. Mais on n’ouvrira pas de lycée public.
Bron : un poste d’adjoint aux cultes et des lumignons pour Marie
La nouvelle municipalité de Bron s’est dotée d’un poste « d’adjoint aux cultes ». On ne voyait pas encore très bien où cette innovation pouvait mener. Première réponse à l’occasion de la fête mariale du 8 décembre : le maire Jérémie Bréaud et son adjoint à l’éducation ont distribué un lumignon aux 2500 élèves des écoles élémentaires.
La Ville souhaitait renouer avec « l’essence de la Fête des Lumières ».
L’essence même du cléricalisme !
Ci-après la lettre adressée par une citoyenne de la ville de Bron, réagissant à une précédente initiative municipale, qui prend tout son sens après le 8 décembre :
Le 15 septembre 2020
Monsieur le Maire,
Je viens de prendre connaissance de votre Lettre aux Parents d’Élèves, à l’occasion de cette rentrée scolaire.
Permettez- moi de vous faire part de ma stupéfaction à la lecture des mots « fonts baptismaux « (je n’aurai pas l’indélicatesse de souligner l’énorme faute d’orthographe, corrigée par mes soins, et qui n’est d’ailleurs pas la seule…). Trouver cette formule sous la plume d’un élu de la République est tout simplement confondant.
Avec tout le respect que je dois à votre fonction, faut-il vous rappeler que la Laïcité est un principe inscrit dans notre Constitution, et que Maires et Élus ont le devoir d’y souscrire, et de s’interdire toute allusion religieuse dans leurs propos, écrits et actes. Faut-il vous rappeler également que les citoyens de Bron ne sont pas tous chrétiens, mais aussi musulmans, orthodoxes, bouddhistes, athées, etc. et que par là même vos mots en ont choqué plus d’un.
Débuter votre mandat de premier élu de notre Ville en faisant preuve d’une telle légèreté dans le choix de vos termes, n’envoie pas un bon signe.
Vos affiches proclament que vous êtes le Maire de tous les Brondillants, employez-vous à le démontrer, et je n’ai aucun doute que vous le ferez.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, l’assurance de mon profond attachement à la Laïcité, seule garante du Bien-Vivre- Ensemble, et de la paix sociale.
Martine MILLOT
Public / privé : une concurrence déloyale
Nous reproduisons ici la lettre d’un parent d’élève choqué de devoir subir le télé-enseignement imposé aux élèves du public, alors ceux du privé peuvent bénéficier de cours en présentiel (situation fort courante) :
Bonjour Monsieur et Madame,
Tout d'abord je veux vous remercier pour la qualité du travail que vous menez au sein de l'établissement au profit de mes enfants (et des autres élèves). Dans le contexte difficile actuel, vous menez une action remarquable (…) Je tiens néanmoins à vous faire part à la fois de mon incompréhension et de ma colère concernant le passage à une scolarisation en alternance présentiel/distanciel pour les élèves du lycée.
Je tiens à préciser que je suis en colère non pas contre votre équipe qui tant niveau de l’administration ou des enseignants fait, comme je vous l'ai dit un travail remarquable, mais je suis atterré par l'attitude des autorités académiques, rectorales et ministérielles qui conduisent à mettre finalement en difficultés, les établissements publics et les élèves qu'ils accueillent.
En effet, j'ai beau retourner la question dans tous les sens, j'arrive toujours au même constat final : tous les enfants, élèves de niveau lycée, que je connais dans ma famille ou au sein de mes relations amicales qui sont dans l'enseignement public passe en distanciel et tous ceux qui sont scolarisés dans l’enseignement privé restent en 100 % présentiel.
Ceci est totalement incompréhensible et crée une situation d’inégalité totale qui au niveau des apprentissages porte préjudice aux élèves de l’enseignement public. En effet les cours (ou plutôt travaux) en distanciel pourront être de la meilleure qualité possible, ils ne remplaceront pas un cours en présentiel.
A la fin de cette période difficile, si cette inégalité d’organisation devait durer entre établissements privés et publics, il est évident que des différences se créeraient au niveau des apprentissages et des acquisitions des élèves. Dans un contexte où le bac est de plus en plus « local », cela est naturellement une source d’inquiétude.
J’en suis à espérer que ce soir des annonces mettent tous les établissements sur un pied d’égalité !
Le contexte sanitaire est le même pour tous (élèves du privé comme du public).
Les mesures que vous avez mises en place (masques – des chirurgicaux ou FFP2 seraient mieux - , gel, aération…) si elles sont respectées protègent suffisamment les élèves et permettent de préserver la jeune génération dans ses apprentissages.
Il serait grandement amélioré par des campagnes de test systématiques et régulières.
Il peut exister des problèmes structurels révélés par la situation épidémique (classes surchargées empêchant une distanciation sociale, problème de la restauration scolaire rendant le moment du déjeuner à risque, « service de la vie scolaire » sous-doté en moyen humain empêchant un contrôle de l’application stricte du protocole au sein de l’établissement), mais sur ces points je ne peux que constater l’inaction du rectorat et du ministère pour les régler. Selon moi, le passage en distanciel n’est que négatif : les élèves dont les familles ne respectent pas le confinement continueront à se contaminer en dehors du lycée, les décrocheurs seront nombreux, les conduites addictives seront renforcées, les apprentissages seront négativement impactés…. Je vais faire part également de mon incompréhension et de ma colère aux autorités académiques, rectorales et ministérielles.
Je vous souhaite bon courage pour les semaines à venir et renouvelle mes remerciements pour votre action.
Sylvain D.
HISTOIRE DE la Libre Pensée
Une figure lyonnaise de la Libre Pensée : Marie Bonnevial
|
||||
|
||||
Militantisme social
Marie Bonnevial devient institutrice sous le Second Empire. Engagée contre les injustices sociales, elle rejoint en 1871 le mouvement de la Commune à Lyon, ce qui lui vaudra d'être renvoyée de l'instruction publique. Exilée en Turquie, elle enseigne le français aux enfants de la bourgeoisie commerçante.
Elle fonde en 1872, un cercle littéraire des Dames lyonnaises. Ce club est dissous en 1873 sous prétexte du non-respect de l'interdiction d'avoir des discussions politique (article 13).
La Xe chambre correctionnelle la jugea, ainsi que Jules Guesde, Gabriel Deville et Marie Manière, pour association non autorisée dans l'organisation d'un congrès ouvrier international prévu le 5 septembre 1878 à Paris.
La Commune de Lyon :
Le 4 septembre, à 9H du matin, la République est proclamée à Lyon (avant Paris) du balcon de l’Hôtel de Ville. Marie Bonnevial est présente. Elle a 29 ans et elle est déjà déléguée d’arrondissement de la Libre Pensée. L’épisode révolutionnaire lyonnais, qui durera jusqu’au 30 avril, date du massacre de la Guillotière, n’a pas l’ampleur de l’insurrection parisienne. Mais à Lyon, en écho aux événements de Paris, la question sociale recouvre de plus en plus la revendication républicaine. On retrouve Marie Bonnevial membre de la commission de répartition des secours aux familles des détenus politiques. En 1873, elle perd son gagne-pain, chassée de l’instruction publique à l’issue d’une campagne de dénigrement calomnieux. Il est difficile de diriger une école « sans Dieu », même sous statut d’école libre et laïque. Citons le mot que lui adresse Victor Hugo :
"Mademoiselle, la réaction vous frappe, là-bas à coup d’épingle, ici à coup de massue. Continuez l’œuvre sainte. Restez la patience sans la faiblesse, la résignation sans l’abaissement. Tous les honnêtes gens vous admirent : moi je vous bénis. Victor Hugo, Paris le 27 septembre."
Elle trouve refuge pour un temps à Constantinople dans sa belle-famille, puis regagne la France et crée alors une école professionnelle dans le 18e arrondissement de Paris. La question de l’enseignement importera toujours à Marie Bonnevial, également impliquée dans la création des Bourses du travail.
Aux côtés du jeune Jules Guesde, elle aide à la constitution de syndicats féminins, une tâche difficile à contre-courant des mentalités de l’époque, aussi bien de la part des hommes que des femmes. Mais la question lui paraît essentielle. En 1872, elle contribue à fonder le syndicat des membres de l’Enseignement. Entre bien d’autres choses, puisque la même année, elle fonde aussi un Cercle littéraire des Dames lyonnaises.
Pour Marie Bonnevial, syndicalisme, féminisme et laïcité sont trois causes indissolublement liées.
Cette conviction sera constante tout au long de sa vie. Voici comment elle interpelle ses collègues en novembre 1900 : « C’est par la femme que vous triompherez ! Prenez deux ménages. Dans l’un la femme est bigote dans l’autre elle est libre penseuse. Il y a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que les enfants du premier soient baptisés et le restent, tandis que les enfants du second seront élevés hors du giron de l’Eglise. Et comme la plupart des femmes en France subissent la domination du prêtre, concluez. La femme a une plus grande puissance de prosélytisme que l’homme, Messieurs. Émancipez-la donc ! »
Elle organise en 1900 le congrès international de la condition et des droits de la femme. En 1899, elle représente au congrès de Paris, le syndicat des membres de l'enseignement. En 1900, elle est déléguée au congrès des organisations socialistes de Paris, puis au congrès de Tours. Elle assiste à plusieurs congrès de la Fédération des Bourses du Travail.
De 1897 à 1903, elle écrit des articles dans La Fronde à la rubrique « travail » et elle collabore à la Revue Socialiste. Elle entre en 1905 dans la fédération de la Seine de la S.F.I.O et jusqu’ à la première guerre mondiale, elle est une proche collaboratrice de Jaurès, auquel elle voue une immense admiration – si ce n’est plus. Pendant la guerre, elle ne se joindra jamais au courant patriotiste et cantonnera son action au secours aux blessés.
En 1904, elle devient présidente de la Ligue française pour le droit des femmes, un droit qu’elle n’opposera jamais à celui des hommes. Elle est membre également de la LDH.
Franc-maçonnerie Elle rencontre Maria Deraismes, fondatrice de l'obédience maçonnique mixte internationale « Le Droit Humain ». Elle est alors initiée en franc-maçonnerie, le 3 novembre 1894, dans la loge no 1 qui la choisira pour la représenter au congrès de la Libre-Pensée en 1904 à Rome.
Elle crée, en 1895 à Lyon, la loge no 2, Évolution et Concorde. Elle en devient vénérable puis vénérable d'honneur ad vitam. La loge no 4 à Paris, qu'elle fonde en 1904, porte désormais son nom.
Présidente de la commission permanente du Suprême Conseil en 1913, elle succède à Marie-Georges Martin, comme grand maître élu du Droit Humain entre 1916 et 1918.
Bibliographie
Incontournable : Dominique Segalen, Marie Bonnevial, communarde et syndicaliste, Detrad, coll. « Personnalités emblématiques du DH », 2018
Documentation directe: après être passées entre les mains des nazis puis par l’URSS, les archives de Marie Bonnevial ont été restituées au Conseil national des femmes françaises, puis données à l'université d'Angers, où elles sont conservées au Centre des archives du féminisme, à la Bibliothèque universitaire d’Angers.
Louis Couturier lui consacre plusieurs pages dans son ouvrage « les Femmes et la Libre Pensée », publié par l’IRELP. Il existe une notice « Marie Bonnevial », sur Wikipedia, malheureusement insuffisante (comme cet article, du reste), mais comportant de nombreuses références.
Signalons un riche ouvrage sur la Commune de Lyon : « Les communards à Lyon – Les insurgés, la Répression, la Surveillance » de Matthieu Rabbe (2015 Atelier de création libertaire)
Notre ami Gilles Champion, membre de l’Union des écrivains AuRA, a tiré de la vie de Marie Bonnevial sa pièce « Une de vos Filles », pièce féministe et militante, dont la dédicace a eu lieu vendredi 18 décembre à la librairie de l’Union des écrivains.
Libres propos, libres pensées
"Ce pays vit. Partout où ne règnent pas le pouvoir et l’argent, ce pays vit !"
Cette phrase est la conclusion d'un article intitulé "Patience !" de Frédéric Lordon dans le Monde Diplomatique, commentant une merveilleuse vidéo réalisée par les danseurs et danseuses de l'Opéra Garnier, chacun dansant seul, confiné chez soi, sur un ballet de Prokofiev : la beauté et l'art magnifiés.
Mais surtout, (et bien peu de gens l'ont sans doute remarqué), cette vidéo est en sa fin dédiée à une longue liste, ici non exhaustive, de professions allant des scientifiques, laborantins, médecins, soignants, aux éboueurs, ouvriers, agriculteurs, commerçants, professeurs, caissières, livreurs, postiers, etc., soit à l'ensemble des gens qui travaillent et font marcher la société, et qui contribuent chacun à sa souvent modeste mais nécessaire mesure à son bon fonctionnement.
Bref, un magnifique hommage dédié au Peuple français dans son ensemble et sa grande diversité.
La Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 proclame : "Tous les hommes naissent et demeurent égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune".
Mais ceci, c'est quand on ne les divise pas en leur instillant insidieusement des réflexes catégoriels engendrant une culture toxique du mépris de "l'autre", de façon toutefois bien plus informelle que l'antique système des castes en Inde, quasi-institutionnel et toujours bien vivace dans les têtes (bien qu'officiellement aboli…), où chacun méprise en cascade celui qui est juste au-dessous de lui.
Car si l'on n'y prend garde, on pourrait bien penser que notre futur pourrait ressembler à l'Inde : des îlets d'incommensurables richesses, des îlots de confortable prospérité high-tech dans un immense océan de misère, de mépris, d'ignorance, de maladie, de superstition, de crasse et de pollution.
Avec pour faire tenir tranquilles tous ces gueux inutiles les diverses religions qui leur promettent le paradis ou une bonne réincarnation, s'ils supportent leur triste sort avec fatalisme et "se tiennent bien". Car prier, débiter par cœur des mantras ou des versets les dispense de réfléchir sur l'origine réelle de leurs maux. Et les exciter les uns contre les autres les occupe, pendant que le business continue.
Détourner les esprits grâce aux instruments que sont les médias tombés aux mains d'oligarques, maniés par quelques illusionnistes professionnels de talent surpayés, a de toute éternité été la recette favorite des puissants pour conserver leur pouvoir.
Mais à la fin, et depuis toujours aussi, cette façon de gouverner a toujours engendré des catastrophes.
La dédicace au peuple de cette belle vidéo nous rappelle que chacun a une place dans la société qui lui a été échue par les hasards de la naissance, du genre, de la géographie, du milieu social et familial, de l'éducation ou son absence, par les opportunités et rencontres qui lui sont offertes d'exploiter ses talents s'il en a et de ses aspirations et ambitions ou manque d'ambitions car tout le monde ne peut (ou ne veut !) prétendre à devenir "premier de cordée".
Ceux "qui ne sont rien ! ", le mépris, toujours… : visiblement notre "président-intellectuel" n'a pas lu Machiavel qui conseille au Prince de ne jamais sous-estimer ni mépriser son peuple (et de fuir les flagorneurs…) car celui-ci peut être parfois bien mieux équipé en talents et intelligence que ceux qui sont ou se croient importants. Et ils le savent !
Car pourquoi élever leur progéniture à part, dans des cursus d'enseignement privés "d'excellence" et financièrement inaccessibles au tout-venant, sinon pour ne pas les mettre en concurrence loyale avec des enfants doués de la plèbe ? Que craignent-ils ?
C'est le rôle et l'intérêt de la société de ne pas gaspiller les talents en donnant une chance à tous et en promouvant tous ceux disponibles dans le pays sans préjuger de leur sexe et origine sociale ou raciale et non les laisser aux diverses et coûteuses écoles cultivant "l'entre soi" qui délivrent souvent des diplômes privés et donc au fond, achetés, telles ces prestigieuses universités américaines privées de la Ivy League qui reçoivent d'énormes "dons" parentaux afin d'être bien sûrs que les héritiers en sortiront prestigieusement diplômés.
Au final on obtient ceux qu'Emmanuel Todd qualifie "d'imbéciles diplômés" : fiers, arrogants, au conformisme formaté par la doxa néolibérale et destinés "par nature" à prendre les rênes du pays et diriger des gens souvent bien plus capables qu'eux.
Car c'est bien l'argent, le "profit d'abord", qui domine dans cette société, qui décide qui aura des soins approfondis, une bonne éducation, une belle carrière, un accès à la justice et le tout à l'avenant.
Regardons la crise du Coronavirus : les morts, les malades, la perte globale de richesse, d'emplois, les faillites équivalant en quelques mois à une guerre-éclair dans des pays occidentaux obsédés par "l'austérité" (très sélective !), "la concurrence libre", "la compétitivité", et les cours en temps réel de la bourse excède (et de très loin) les investissements hospitaliers, humains et matériels qu'il aurait fallu préventivement engager ou préserver pour se prémunir contre une pandémie qui aura coûté inutilement un nombre ahurissant et inexcusable de vies, dont beaucoup étaient porteuses d'un savoir-faire définitivement perdu ayant coûté très cher, à eux-mêmes, à leur famille ou à la société. La doctrine néo-libérale du "tout pour nous, rien pour les autres" atteint ainsi les limites extrêmes du supportable.
Des pays bien moins riches et "avancés" en Asie, en Afrique ont écouté leurs vieux réflexes de survie (ils sont accoutumés à la survie !) et leur bon sens ancestraux et anticipé et paré immédiatement avec un incommensurable succès à la menace pandémique émergente. Mais pas nos belles "élites" si intelligentes, malgré les sérieux et pressants avertissements venus à temps de toutes parts.
Mais malgré eux ce pays vivra ! RJ