AN II 169

ÉDITORIAL

Au collège des Bernardins, le chanoine du Latran Emmanuel Macron a donc été reçu par la Conférence des Evêques de France.

« Votre présence, lui a-t-il été répondu, nous honore et manifeste les relations anciennes et renouvelées entre l’Etat et l’Eglise catholique. » Anciennes, non ! sauf si l’on remonte à l’Ancien Régime, au Concordat ou au Régime de Vichy. Entre-temps il n’aura échappé à personne qu’un Séparation a eu lieu, produit d’une longue histoire.

Les cléricaux le déplorent, mais l’Histoire a avancé sans eux et ne reviendra pas en arrière.

Emmanuel Macron n’en a cure, répondant au président des Evêques que s’ils ont tous deux « bravé les sceptiques de chaque bord », c’est qu’ils partagent le sentiment commun « que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il importe à vous comme à moi de le réparer. »

Loin d’être des propos de circonstance tenus pour satisfaire à un opportunisme politique très classique devant la clientèle catholique – comme certains éditorialistes ont voulu le faire croire – ces propos sont l’expression d’une volonté déterminée de vider la laïcité de son contenu, comme Macron l’a montré après un an de mandat, dans la lignée de ses prédécesseurs.

Le discours de Macron n’est pas un effet de manche. Il est aussi sérieux que la déclaration de guerre faite aux cheminots, contre leur statut et au-delà contre tous les services publics.

Aussi sérieux que les frappes en Syrie des 13 et 14 avril, au nom de prétextes humanitaires bien entendu, aux côtés de l’allié U.S. et avec le soutien du régime saoudien… qui mène la guerre au Yémen et finance de bien obscurs intérêts au Moyen Orient.

Le « grand discours » d’Emmanuel Macron sur la laïcité est une nouvelle fois reporté.

Signe sans doute d’une hésitation, mais aussi d’une préparation stratégique minutieuse.

Bien sûr nous aimerions nous tromper.

Mais nous voyons bien qu’avant toute offensive d’envergure, des travaux de sape, des préparations d’artillerie sont nécessaires. Peut-on interpréter autrement le cadeau fait à enseignement privé au prétexte de rendre la scolarité obligatoire à 3 ans au lieu de 6, mesure qui n’a pour but et pour effet que d’imposer le financement des écoles maternelles par les municipalités ? On lira à ce sujet le communiqué de l’Association Nationale des élus locaux Amis de la Libre Pensée (page 7).

Ou la mise en place d’un « Comité des sages » dans l’Education nationale, intégrant les principaux cultes ? Ou l’annonce d’un rapport (via le journal « la Croix », qui se prend pour le nouveau Journal Officiel de la République, préconisant la définition d’un « ensemble de cultes représentatifs » ?

A ce rythme, on finira par nous avouer que tout compte fait l’Etat reconnaît et finance les cultes.

Très justement, le communiqué national (reproduit dans ce n°) se conclut par ces mots : « Il est désormais clair qu’un mauvais coup se prépare contre la Loi de 1905. Le mérite du discours des Bernardins aura été de mettre le mouvement laïque en alerte. Ne réveillez pas ce géant, il va balayer à nouveau le cléricalisme. Nous appelons les laïques à se préparer à l’action pour défendre la loi de 1905. » Et le meilleur moyen de s’y préparer, c’est de rejoindre les rangs de la Libre Pensée.

Parce que la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat fait partie de son patrimoine génétique !

P.G.

 APPEL DU TRESORIER

Merci à tous de penser au versement de votre adhésion ! Même si c’est étalé sur 2 ou 3 chèques pour la somme de 72 euros (abonnements An II et La Raison inclus).

L’Assemblée Générale a voté pour 2019 une future augmentation de 3 euros.

►   Nos comptes ont besoin d’un remontant !

►   La Libre Pensée nationale, par ses actions nationales et internationales, effectue des prélèvements élevés (il ne nous reste que 5, 5 euros sur chaque carte !).

►   Tout soutien supplémentaire est, bien sûr, le bienvenu !

►   Faites de la publicité pour nos actions, faites adhérer à la Libre Pensée !

 

Le CCO dans l’espace public

 Depuis 50 ans, le CCO Jean-Pierre-Lachaize, installé depuis 50 ans rue Georges Courteline à Villeurbanne sur une propriété appartenant à l’archevêché de Lyon, s’apprête à déménager (voir l’An II n° 168). Il s’agit, précise le magazine municipal « VIVA », de se « réinventer », de rester fidèle à ses valeurs en développant un grand projet d’innovation sociale et culturelle, de créer un « CCO augmenté ». Le déménagement est prévu pour 2021 sur le site de l’ancien IUFM, 24 rue Alfred-de-Musset, où l’opération a déjà commencé. Elle s’inscrit dans le cadre du projet « L’Autre Soie », porté par le CCO, le GIE Est-Habitat et la ville de Villeurbanne.

« Un projet mixte, de solidarité urbaine, d’innovation sociale et culturelle au sein duquel il trouvera toute sa place » (VIVA). CCO « augmenté », sans doute. Et laïcité amoindrie.  

Affaire Barbarin : ou la « majestueuse lenteur de la justice »

Le procès du cardinal Barbarin repoussé au 7 janvier 2019.

En attendant de comparaître devant le Tribunal de Dieu, le cardinal était cité devant la justice civile, en l’occurrence la 17e chambre du tribunal correctionnel, par neuf anciens scouts regroupés au sein de la « Parole libérée ». Avec lui devaient comparaître six autres prévenus, parmi lesquels le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican, l’Espagnol Luis Francisco Ladaria Ferrer. Tous sont accusés d’avoir couvert les agissements pervers du père Preynat.

On vient d’ailleurs d’apprendre une nouvelle affaire mettant en cause Preynat dans la Loire, et qui ne serait pas soumise à prescription !

 

 

La présence du Père Ferrer n’a rien d’anecdotique : en tant que préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi (héritière directe de l’Inquisition), il avait été consulté par le diocèse de Lyon sur le cas du père Preynat. Il représente donc le Vatican.

C’est à cause de lui (directement ? indirectement ?) que le procès a été repoussé pour vice de procédure : faute de traduction de la citation à comparaître dans les délais impartis. Apparemment, le prélat romain n’entend que l’italien (ou le latin ?)

C’est la partie civile elle-même qui a demandé le report. Pas pour le plaisir, on s’en doute, mais parce que la présence de Ferrer lui semblait indispensable. « Nous ne sommes pas pressés. Il est important pour nous que Luis Francisco Ladaria Ferrer, le numéro 2 du Vatican, soit cité à comparaître et qu’il n’y ait qu’une seule et même procédure », a déclaré François Devaux, président de La Parole Libérée.

La justice est lente, mais elle suit son cours. Le procès dont nous parlons entre dans le cadre d’une procédure de citation directe lancée par les neuf anciens scouts de Sainte-Foy-lès-Lyon, alors que le parquet avait classé sans suite, à l’été 2016, une première enquête sur les faits.

Des parts de marché pour l’école privée

A Saint-Priest, le futur collège privé de l’association La Xavière et de l’enseignement catholique (Aldec) prend forme. L’architecte l’assure : « Les travaux, commencés en octobre, vont actuellement bon train, le gros œuvre est en cours de finalisation ».

L’établissement se situe sur un terrain de 9 720 m² à l’angle des rues Clémenceau et Ambroise-Paré, dans le quartier de Manissieux. Il sera composé de 16 classes et de 5 classes spécialisées, un réfectoire, des vestiaires, un CDI et un bloc administratif pouvant accueillir, à terme, près de 720 élèves. A la prochaine rentrée, les travaux auront sérieusement avancé et les salles de cours pourront accueillir 110 élèves sur au moins quatre classes. A terme, l’établissement pourra accueillir jusqu’à 720 élèves. Cette première phase de travaux avoisinera un coût de 4,8 millions d’euros TTC. 

À Limonest, dès la rentrée prochaine, deux classes de 6e seront ouvertes, sur le site du lycée lasallien de Sandar. C’est le lycée qui mettre les salles à disposition, en attendant la construction d’un nouveau collège conçu pour 250 élèves, dans le cadre d’une fusion entre les lazaristes et La salle. Les établissements concernés seront regroupés sous une même entité « collège Aux Lazaristes-La Salle » avec trois lieux d’implantation : Lyon Fourvière, Lyon la Croix-Rousse et Limonest pour un peu plus de 3 500 élèves.

« Capter les élèves de l’Ouest Lyonnais »

Le but est clair. Avec l’aval de la direction catholique et le soutien du maire de Limonest, le site de Sandar, avec son parc de plusieurs hectares, ses bâtiments historiques, son internat totalement neuf, sa desserte par les transports en commun, est fait pour séduire une certaine clientèle. Les sixièmes bénéficieront d’options comme une classe bilangue anglais-allemand (que les collèges publics ne peuvent pas tous mettre en place, faute de moyens dédiés), une option artistique « musique et théâtre » et une option « équitation » en partenariat avec plusieurs centres équestres à proximité. D’ici à 2019, un centre d’équitation complétera les infrastructures du lycée Sandar.

COMMUNIQUE ANELALP

ANELALP

Association Nationale des élus locaux Amis de la Libre Pensée

10/12 rue des Fossés Saint-Jacques 75005 Paris

Lundi 2 avril 2018

 

Scolarité obligatoire à 3 ans ? Au bénéfice de qui ?

L’Association Nationale des élus locaux Amis de la Libre Pensée a pris connaissance de la déclaration du Président de la république : « J’ai décidé de rendre obligatoire l’école maternelle et d’abaisser de 6 à 3 ans en France l’obligation d’instruction dès la rentrée 2019. »

L’ANELALP constate que cette annonce n’aura en pratique aucune conséquence sur la scolarisation des enfants de trois ans, puisqu’aujourd’hui, 97,6 % (et quasiment 100 % des enfants de 4 et 5 ans) vont déjà à l’école maternelle, et que rien n’obligera les parents des 26 000 enfants concernés à les mettre à l’école (instruction à la maison).

L’ANELALP rappelle qu’à l’inverse, depuis des décennies, la multiplication de mesures contre l’école maternelle, et en particulier la chasse aux postes, entraînant la non prise en compte par l’Education Nationale des enfants de deux ans dans les opérations de carte scolaire (sauf dans les zones dites « prioritaires ») a fait chuter le taux de scolarisation de cette tranche d’âge de 35 % en 1999 à moins de 11 % aujourd’hui.

Orientation confirmée il y a quelques semaines par le ministre Blanquer, qui remettait en cause la scolarisation des enfants de deux ans.

Quels desseins cache cette éventuelle « scolarité obligatoire » dès trois ans ?

A quoi servirait cette mesure ?

La réponse est simple : à l’école privée confessionnelle.

La loi Debré de 1959 prévoit que les municipalités participent dans les mêmes proportions aux frais de scolarité pour les enfants de leurs communes, qu’ils soient dans des écoles publiques ou privées sous contrat. Mais cette disposition ne concerne que les enfants des écoles élémentaires, à partir du Cours préparatoire (la scolarité obligatoire). Pour qu’une commune supporte les dépenses de fonctionnement des classes maternelles et enfantines privées, elle doit avoir donné son accord à la mise sous contrat d’association de ces classes et peut s’en retirer sur simple décision du Conseil municipal (circulaire n° 2012-025 du 15-2- 2012).

Avec une scolarité rendue obligatoire à partir de 3 ans, nos communes devraient supporter les dépenses imposées par la loi Debré, dépenses de scolarité, dépenses de personnel (ATSEM)…

Au moment où nous voyons baisser les dotations de l’Etat ! Au moment où la suppression de la taxe d’habitation nous inquiète pour la pérennité de nos budgets !

L’Etat, de son côté, va payer les salaires des enseignants des écoles maternelles privées, dépensent qui s’ajouteront aux 7 milliards et demi d’euros versés annuellement sur le budget de la nation aux établissements privés, à 95 % catholiques.

L’ANELALP se prononce contre cette nouvelle attaque contre la laïcité et contre nos communes, se prononce pour le retrait de ce dispositif supplémentaire en faveur des établissements privés, au mépris des principes républicains, au mépris des lois de séparation des Eglises et de l’Etat.

L’ANELALP réaffirme sa volonté, avec la Fédération Nationale de la Libre Pensée, avec tous les laïques de ce pays, de voir abroger la loi Debré, mère de toutes les lois anti-laïques.

Au nom du Bureau national de l’ANELALP                                                            Le président, Christian Baqué

Communiqué FNLP

FÉDÉRATION NATIONALE DE LA LIBRE PENSÉE

Membre del’Association Internationale de la Libre Pensée (AILP)

Avant, la République, c’était la Séparation des Eglises et de l’Etat

Avec Emmanuel Macron,

C’est la Réparation de l’Eglise par l’Etat

Il aura suffi d’une lettre, un R à la place d’un S, et la grande loi qui a garanti plus de 100 ans de paix civile, la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Eglises et de l’Etat, est menacée dans son fondement même : assurer la liberté de conscience de tous, sans que l’Etat se mêle de ce que pensent les citoyens. Francis de Pressensé avait dit en 1905, pour résumer la grande loi laïque : « L’Etat s’arrête où commence la conscience ».

En déclarant que la République devait « réparer » son lien avec l’Eglise catholique, Emmanuel Macron a contredit tout l’édifice établi depuis des siècles à partir du Concordat de Bologne de 1516, de l’Edit de Nantes, du rejet des Jésuites hors de France, des Lumières, de l’Edit de Tolérance, de la Révolution française, des trois séparation des Églises et de l‘Etat (1795, 1871, 1905), de tout l’édifice républicain et laïque institué par la IIIe République. Voici nos références historiques, elles viennent du vieux pays des Lumières; celles d’Emmanuel Macron sont tirées de l’obscurité des sacristies.

Un calotin aux Bernardins

Il n’y a rien à réparer, car il n’y a rien de cassé. La République a divorcé de l’Eglise catholique définitivement en 1905. Chacun a repris ce qui lui appartenait. L’Etat a repris ce que le peuple avait payé avec sa sueur, ses larmes et son sang. L’Eglise est revenue à la solitude de la prière qu’elle n’aurait jamais dû quitter (Marx).

Pas plus qu’hier, la République n’acceptera les mariages forcés. La Séparation, ce n’est pas la turpitude obligatoire. La Laïcité, c’est la liberté, la liberté de conscience, la liberté de penser comme on veut.

Il est désormais clair qu’un mauvais coup se prépare contre la Loi de 1905. Le mérite du discours des Bernardins aura été de mettre le mouvement laïque en alerte. Ne réveillez pas ce géant, il va balayer à nouveau le cléricalisme. Nous appelons les laïques à se préparer à l’action pour défendre la loi de 1905.

soldats repliés : «la cour martiale […] pour l’ensemble de la demi-section […] qui fut exposée au coup de main de l’ennemi, soit vingt-quatre bonshommes ». Un choix arbitraire aboutit à ce qu’« on désigna six victimes au hasard sur les vingt-quatre ». Ils ont été réhabilités le 29 janvier 1921, comme une quarantaine, entre les deux guerres mondiales, sur les 639 exécutés entre 1914 et 1918.                                                                                               Xavier HYVERT, Président de l’ALAMPR.

Libres propos, libres pensées

Il y a 500 ans la proclamation de Luther (2e partie)

L'Église pilier de l'ordre féodal prend peur

             Sans faire une étude exhaustive année par année qui serait fort révélatrice mais trop longue pour un article, donnons quelques repères pour voir dans quel contexte les humanistes vont voir se retourner contre eux la fureur du clergé.

            « Le trait le plus caractéristique de la production féodale dans tous les pays de l'Europe occidentale, c'est le partage du sol entre le plus grand nombre d'hommes-liges... La réforme, et la spoliation des biens de l'Église qui en fut la suite, vint donner une nouvelle et terrible impulsion à l'expropriation violente du peuple au 16ème siècle. L'Église catholique (anglaise) était à cette époque propriétaire de la plus grande partie du sol anglais.

Les biens du clergé tombèrent entre les mains des favoris royaux, des fermiers spéculateurs qui commencèrent à chasser en masse les vieux tenanciers héréditaires... Les bourgeois capitalistes favorisèrent l'opération dans le but de faire de la terre un article de commerce, d'augmenter leur approvisionnement de prolétaires campagnards, d'étendre le champ de la grande agriculture » (Marx, Le Capital, chapitre "L'accumulation primitive")

            En Allemagne les princes protestants se jetèrent sur les biens de l'Église, mais les paysans à partir de 1525 se soulèvent. Thomas Müntzer, sous une forme religieuse lui aussi, va exprimer les revendications paysannes du partage des terres et de l'égalité, si on est tous fils de Dieu pourquoi pas nous ? Luther change de pied, appelle à massacrer les paysans, et la guerre des paysans se termine par d'horribles carnages et des représailles monstrueuses et sans fin. Les princes s'entendent : ceux qui sont restés fidèles au pape (Bavière) et les luthériens signent en 1555 la paix d'Augsbourg sur la base « cujus regio, ejus religio » (les sujets auront la religion de leur prince).

            L'Allemagne est à feu et à sang, l'Angleterre a rompu avec la tutelle du pape qui va prononcer une condamnation à mort contre la reine Elisabeth, qui, craignant pour sa vie, va lancer une chasse féroce aux catholiques. Mais la toile de fond c'est une lutte à mort pour savoir si la bourgeoisie aura une meilleure part dans le pillage de la paysannerie, si la terre deviendra un article de commerce et de spéculation.

            « Le système du crédit public, c'est à dire des dettes publiques, dont Venise et Gênes avaient, au Moyen âge, posé les premiers jalons, envahit l'Europe définitivement pendant l'époque manufacturière... La dette publique opère comme un des moyens les plus énergiques de l'accumulation primitive... Dans le même temps qu'on cessait en Angleterre de brûler les sorcières, on commença à pendre les falsificateurs de billets de banque... Comme la dette publique est assise sur le revenu public, qui doit en payer les redevances annuelles, le système moderne des impôts était le corollaire obligé des emprunts nationaux... la surcharge des taxes n'est pas un incident mais le principe » (Marx, Le Capital)

            « On remarquera que dans toutes les sphères de la vie sociale, la part du lion échoit régulièrement à l'intermédiaire. Dans le domaine économique par exemple, financiers, gens de bourse, banquiers, négociants, marchands, etc., écrèment les affaires. Entre le seigneur féodal et ses dépendants à tous les degrés de vassalité, il y avait un agent intermédiaire qui devint bientôt homme d'affaire, et dont la méthode d'accumulation primitive, de même que celle des hommes de finance placés entre le trésor public et la bourse des contribuables consistait en concussions, malversations et escroqueries de toutes sortes... l'oppression du peuple, assujetti à tant de petits tyrans était naturellement affreuse. »

(Karl Marx, le Capital)

Les humanistes un danger pour tous les camps

            La compagnie des jésuites est fondée à Paris en 1534, aujourd'hui il est facile de voir la concordance des dates. En 1540 le pape Paul III ratifie la création de l'ordre. La contre-réforme, véritable contre-révolution, est en marche. Les humanistes sont doublement suspects : ils ont ouvert la boîte de la contestation en mettant la recherche de la connaissance sur un piédestal, la recherche de la vérité devient une démarche individuelle, échappant au contrôle de l'Église. Des érudits (Érasme) veulent concilier la sagesse socratique et le dogme chrétien, et réduire les aspects les plus voyants du luxe de l'Église. Mais ils expriment et nourrissent malgré tout le mouvement de contestation.

            Le roi de France n'est pas en conflit avec l'Église, puisqu'il a signé un concordat avec le pape en 1516 qui lui permet de nommer les princes de l'Église. Il a besoin de cet appui financier. La vente des offices permet au roi d'assurer le service de la dette et ses dépenses somptuaires demandent beaucoup d'argent.

En France la bourgeoisie appuie la centralisation de l'État que mène le roi.

            « Même dans les soi-disant guerres de religion du XVIème siècle, il s'agissait avant tout d'intérêts matériels de classes très positifs... Que ces luttes entre classes aient eu alors des signes de reconnaissance religieux, que les intérêts, les besoins et les revendications de chacune des classes se soient dissimulés sous une enveloppe religieuse, cela ne change rien à la chose et s'explique facilement par les conditions de l'époque... Les dogmes de l'Église étaient en même temps des axiomes politiques et des passages de la Bible avaient force de loi dans toutes les cours de justice. Même lorsqu'il se constitua un corps spécial de juristes, la jurisprudence resta longtemps encore sous la tutelle de la théologie. Et cette souveraineté de la théologie sur tout le domaine de l'activité intellectuelle était en même temps la conséquence nécessaire de la position qu'avait l'Église d'être le résumé et la sanction universels de la domination féodale existante ».                                                                        (Engels, la guerre des paysans).

            L'amalgame, les faux papiers, l'escroquerie, étaient des méthodes très utilisées par l'Église. La contre-réforme est une contre-révolution qui se dissimule sous une enveloppe religieuse. Luther et Calvin se lancent aussi dans la chasse aux humanistes, car ils veulent contenir la révolte qui gronde.

            Ces éléments des conflits sociaux complexes et masqués étaient difficiles à comprendre à l'époque et même encore aujourd'hui trop d'historiens raisonnent comme si la vision confuse et religieuse des participants à ces luttes était les raisons véritables des événements.

                  Des combinaisons diverses de la réaction selon les pays se font jour : En France l'Église se bat avec acharnement pour éliminer les protestants, mais la bourgeoisie élargit son assise économique et soutien la centralisation de l'État par la monarchie. Après huit guerres et des massacres sordides, le compromis d'Henri IV « Paris vaut bien une messe » permet la centralisation monarchique.

En Angleterre la bourgeoisie appuie le roi pour s'approprier les terres de l'Église catholique, puis dès 1649 la révolution décapite le roi. Cromwell instaure une république bourgeoise. Aux Pays Bas la réaction est vaincue par le soulèvement des Provinces unies, la première révolution bourgeoise. En Allemagne, du fait de la répression des paysans, la centralisation de l'État est différée, les princes catholiques et protestants vont maintenir la féodalité plus longtemps, et l'unité allemande sera encore à faire au 19ème siècle.

Quant à l'Italie, si en avance dans l'essor de la bourgeoisie vers 1400, le déplacement des courants d'échanges de la Méditerranée vers l'Atlantique, le morcellement provoqué par les intrigues continues et perverses du pape pour sauver la féodalité, la met en déclin pour deux siècles. En Espagne dont la richesse est dopée par son empire aux Amériques, la royauté renforce l'Inquisition et les classes féodales entravent le développement d'une bourgeoisie marchande en bourgeoisie capitaliste.

            Les progrès techniques et l'essor des échanges continuent partout, la bourgeoisie se renforce, l'accumulation primitive s'accélère, mais la lutte de l'Église partout défend l'ordre ancien, son despotisme sur les consciences.

                  La réaction contre-révolutionnaire prend une forme frappante : après les interrogations et les doutes de la recherche, (beaucoup de textes des humanistes prennent la forme de dialogues pour présenter les choses comme en débat, entre 1450 et 1535), voici venu le temps de l'obligation de la profession de foi. On ne demande plus une adhésion vague à Jésus, mais l'adhésion à des croyances éternelles bien précises : 1564, profession de foi de Pie IV pour les catholiques, 1559 pour l'église réformée de France, 1560 écossaise, 1561 helvétique, 1563 les 39 articles de foi de l'église officielle anglaise. Il faut discipliner davantage les consciences pour contenir la poussée scientifique qui continue et l'emportera seulement par la révolution de 1789.

            La Renaissance a marqué une première avancée de la bourgeoisie sur la scène de l'histoire et les humanistes ont exprimé l'aspiration à la liberté de penser individuelle, qui était contradictoire à toute la conception féodale des hommes-liges (tout homme est le vassal d'un seigneur). Mais si le pape et ses évêques pouvaient fort bien s'accommoder de discours et de poésie antique, et même sous les Borgia reconstituer les orgies romaines antiques, quand la bourgeoisie a commencé sa lutte pour le contrôle des richesses, la conscience des classes féodales s'est brusquement réveillée. Comme l'a fort bien dit Marx, « La Haute-Église d'Angleterre pardonnera bien plus facilement une attaque contre trente-huit de ses trente-neuf articles de foi que contre un trente- neuvième de ses revenus. » (Karl Marx "Le Capital", préface).

Christian Coudène

Nouvelles de l'Empire : de mal en pire

     Le 2 mars 2007, le général US 4 étoiles en retraite Wesley Clark vendait la mèche à New York : dans une conférence publique (visible sur YouTube), il révélait que très peu après le 11/09/2001, tout frais retraité, un mémo top-secret lui fut montré en catimini au Pentagone par un autre collègue général effaré par son contenu : les Etats-Unis projetaient d'attaquer SEPT pays en cinq ans : Irak, Syrie, Liban, Libye, Somalie, Soudan et pour finir l'Iran.

À sa question "Pourquoi ? il lui fut répondu : "On ne sait pas !", ce qui fit rire (jaune ?) l'assistance.

     Il est vrai qu'il y a eu un peu d'impondérables dans l'ordre du programme de "regime change", des trous (on avait aussi oublié quelques "pays de merde", -dixit Trump- à détruire car refusant obstinément de se soumettre) et un sérieux retard dans l'exécution complète, mais dans les grandes lignes le programme a été lancé ou est activement en cours (Syrie). Des millions d'êtres humains semblables à nous ont vu leur vie s'achever tragiquement ou totalement ravagée par la volonté d'une minuscule caste de va-t-en-guerre décidés à punir des pays par trop irrespectueux de la volonté du plus fort, tout en améliorant copieusement les bilans du complexe militaro-industriel atlantiste.

     Quant à l'Iran, le dernier de la liste, (la cerise sur le gâteau ?) il avait pourtant déjà subi avec succès en 1953 un type innovateur de "regime change" made by CIA quand le Dr Mossadegh, le premier et dernier Premier Ministre jamais élu démocratiquement, qui tenta d'instaurer une République laïque, avait été renversé suite à sa nationalisation du pétrole iranien en représailles contre l'intransigeance british sur les dividendes pétroliers, grâce à de violentes "émeutes populaires" surgies de l'opération Anglo-US AJAX  organisée et pilotée par Kermit Roosevelt de la CIA et bien alimentée en valises bourrées de dollars.

     Ce grand bourgeois démocrate et laïque iranien fut accusé faussement d'être un "communiste", la peine de mort fut requise contre lui mais il fut embastillé jusqu'à sa mort, contrairement à certains de ses partisans qui furent torturés puis exécutés.

Et la démocratie avec, à jamais !

Ainsi fut réinstallé le Shah exilé qui mit en place une si cruelle dictature qu'elle conduisit bien plus tard à la révolution islamique.

Autrement dit, le peuple persan doit sa République Islamique actuelle aux sordides machinations des britanniques et de la CIA. ! On dit merci ?

     De notre vivant, pour beaucoup, nous avons vu s'effondrer l'empire soviétique et nous assistons en direct à la décomposition accélérée de l'empire OTANiste, sous la houlette de dirigeants mal élus ou réactionnaires dont le but, en dépit d'une propagande incroyablement hypocrite sur la "Démocratie, la Liberté et les Droits de l'Homme" n'est pas le bien-être et la prospérité de leurs peuples mais leur propre prospérité et leurs prébendes et ceci précisément au détriment des peuples. Et grâce à cette insatiable cupidité débridée, l'effet pervers le plus patent est que depuis des décennies ils ont grandement favorisé l'émergence de l'empire de demain, l'empire chinois.

     Lénine aurait dit : "les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons".

C'est bien dans une certaine mesure ce qui s'est produit : alléchés par les très bas salaires chinois et un contrôle autoritaire des travailleurs (leur rêve), nos "élites" leur ont confié la fabrication de tout ce qui faisait notre richesse : nos productions, nos techniques, notre savoir-faire et les machines avec !

Et délocalisé ainsi les millions d'emplois qui nous font défaut. Et ce schéma s'est répété dans presque toutes les activités de toutes technologies. Qui s'est comporté le plus stupidement ? Les chinois ?

     Grâce à nos "élites" économiques et politiques bornées, incapables de regarder plus loin que leurs cours instantanés de Bourse, la Chine nous dépasse à grandes enjambées dans tous les domaines.

     Par chance, on sait encore faire des machines à tuer sophistiquées, on sait les vendre, apprendre à les utiliser, susciter par des opérations Ajax les conflits adéquats et à l'occasion les employer nous-mêmes.

     Et pour retarder un fatal déclin économique qui, généré par cette géniale "stratégie" était largement prévisible, nos "élites" ont décidé pour compenser de réduire tout ce qui faisait la vraie richesse et le prestige de nos pays : un niveau de vie, d'éducation et de culture élevés, une espérance de vie en bonne santé unique dans l'histoire de l'humanité, des protections sociales acquises de haute lutte : en bref, tout ce qui est la marque d'une société civilisée.

     Mais il leur était insupportable de s'être fait arracher tout cela par des manants, y compris US, que même des guerres destinées à les dresser les uns contre les autres n'avaient fait que renforcer (s'ils en revenaient, ils avaient des exigences exacerbées par leurs sacrifices) et il fallait bien que cela cesse.

     Denis Kessler, ex vice-président du MEDEF l'a écrit (Challenges, 4/10/07) : "Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement tout le programme du Conseil National de la Résistance."

Il l'a dit, Macron le fait !               RJ